mais je récuse les miroirs. Soyez-en bien certaines ! quels
que soient les avantages extérieurs, ils ne suffisent pas
pour captiver longtemps. Tout bonheur sensuel est borné
par les sens, qui sont eux-mêmes très bornés. La plus
belle beauté s’affadit, quand l’esprit ne s’occupe pas de
sa parure. Quand l’œil parle, il faut que le sourire commente ;
mais tout est bientôt dit si la parole ne s’en mêle
pas, et tout est bientôt fait si la parole n’a pas mille
moyens différents d’exprimer les mille et mille nuances de
la passion. Or, tous tant que nous sommes, notre magasin
d’idées n’est pas très bien fourni, et leur costume n’est
pas très varié. Aussi ne tardons-nous pas à être à bout de
richesses, à voir notre vestiaire intellectuel à sec. À moins
d’aller tout nu, ce qui serait souvent fort laid, on est bien
forcé de mettre ses vieux habits, quand on n’en a pas de
neufs. On a beau les retourner, ce sont toujours les
mêmes, et ils ne font pas plus d’effet que si on ne les retournait
pas. En somme, nous nous fatiguons de répéter ce
qu’on se lasse d’entendre, et l’amour consumé commence
à s’évanouir en fumée. Cette fumée-là s’appelle ennui.
Quand on serait de l’humeur la plus enjouée du monde, c’est fort peu récréatif de ne pas amuser ce qu’on aime et de bâiller à ses côtés : on en prend malaisément son parti. On cherche alors des gens qui ne soient pas dans le secret de votre pénurie, et reçoivent comme neuve votre monnaie passée au blanc. On en trouve : on débite sa marchandise ; et, quand on a vu le fond de votre sac, vous vous remettez en chasse pour attraper de nouveaux chalands ; et ainsi de suite, jusqu’à ce que le chaland et