pouvoir, jamais il n’aurait eu la force morale de débrouiller
le chaos de pensées dont l’enveloppait sa dégradation.
La thèse change bien, si vous lui laissez le temps de
revenir sur sa misère, d’en scruter la profondeur, d’en pénétrer tous les replis ; si, séparé tout vif de l’humanité,
l’homme mort en pleine intelligence se trouve, dans la
solitude du cloître, face à face de son néant, un néant qui
se souvient d’avoir été un monde. Il n’y a rien non plus
que de naturel à voir Héloïse, dans son couvent, se rattacher
à ses beaux jours par le spectacle de ses souffrances :
porter, épouse de Dieu, le deuil de son veuvage
humain ; pleurer la terre à la porte du ciel ; et, jeune
encore d’amour et de beauté, disputer sa chaude vie au
suaire glacé des morts. Il y a là un abîme de larmes et de
poésie, que le génie seul peut sonder, et qu’il décrit en s’y
plongeant. Il suffit de lire Pope pour s’en convaincre,
et relever de sa déchéance un genre qui a fait naître un
chef-d’œuvre. Quand il y en a un, il peut y en avoir deux.
Il est, je le sais, des sceptiques endurcis qui nient l’existence de ce chef-d’œuvre. C’est qu’ils ont lu Pope dans Colardeau, ce qui est très fâcheux pour l’Angleterre. Je n’aime pas à dire du mal des morts, parce qu’ils sont aussi incorrigibles… que des vivants. Mais, puisqu’on se sert de ce qui est fait pour décrier ce qu’on peut faire, il faut absolument que je déclare que ce qui est fait ne vaut rien ; et que le pauvre Colardeau, qui était pourtant de l’Académie, avait très peu de talent. Il n’en avait guère plus que Dorat, qui n’était pas de l’Académie, et qui a fait répondre Abailard en académicien. Le malheureux ! je crois