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LES GRANDS BAZARS


L’incendie des magasins du Printemps a de nouveau appelé l’attention sur un des plus grands phénomènes économiques du temps présent les grands bazars. Ils ont remplacé à Paris les boutiques individuelles où nos mères ont acheté nos premières culottes. C’est là un des aspects multiples de la nouvelle force sociale concentration des capitaux. Des entités formidables, industrielles ou commerciales, ou financières, apparaissent dans le monde moderne et celles que j’appelle ici les grands bazars ne sont pas les moins curieuses à observer. Mercredi dernier, je devais les étudier, quand le cataclysme russe appela ailleurs mon attention. L’écrivain est souvent comme un pompier qui aperçoit en même temps deux incendies à deux points différents de l’horizon il ne sait auquel courir !

Là création de ces grands bazars a fait naître dans l’ordre moral comme dans l’ordre pathologique de nouvelles passions qui ne se trouvent pas dans la Comédie humaine de Balzac.

Les médecins et les criminalistes ont appelé l’une d’elles provisoirement « la manie du vol dans les grands magasins », en attendant que, selon l’usage, on lui donne un nom dérivé du grec.

D’autre part, ces grands bazars ont apporté une perturbation considérable dans nos habitudes économiques. L’acheteur, c’est-à-dire le consommateur, y applaudit avec enthousiasme. Le petit producteur ou le petit rival y contredisent avec emportement. Comme toujours, la vérité se trouve entre ces deux exagérations.

Ces grands bazars sont la conséquence fatale et immédiate d’une époque matérialiste et démocratique. Rien ne me fera dire que je les aime — mais nul ne m’empêchera dé voir en eux un des Concrets les plus saisissants de la fin du siècle. Toujours les fins de siècle sont intéressantes, comme les fins de chapitré !

J’ai donc fait à nouveau une visite aux magasins du Louvre, du Bon Marché, de la Belle Jardinière et à plusieurs autres bazars de l’ordre de ce pauvre grand bazar dont les employés sont aujourd’hui si dignes d’intérêt, et dont la façade ressemblait, avant l’incendie, aux « plats » dorés et enluminés d’un paroissien de mariée. C’était lundi dernier ; vous savez que les bourrasques de mars ont soufflé, en même temps qu’une pluie fine tombait sur le pavé gras. Mais le printemps a nonobstant commencé dans les grands magasins et cela suffit. Tout un peuple de femmes se presse pour acheter les étoffes nouvelles. En dépit du froid de la rue, le printemps commence déjà à allumer les regards. Je ne pouvais pas mieux arriver pour voir la névrose particulière aux grands bazars. Dans un de ces plus immenses magasins on a pointé, l’an dernier, le passage de quatre-vingt-dix mille visiteurs. La femme est représentée dans ce chiffre dans la proportion de dix à un. En effet, c’est bien là – la maison de la femme !

On sait que tout être en ce monde vit d’assassinats. Même l’hirondelle est une petite assassine. Cette loi est obéie dans le monde économique. Les grands bazars, quand ils seront répandus par toute la France, tueront les petits marchands. La petite boutique ne peut lutter avec un établissement qui achète comptant, comme le Louvre, près de cent millions de marchandises pour les revendre. Malgré les frais énormes de maisons dont une compte 80 chefs de comptoir, 160 seconds, 2 500 employés de vente — la lutte n’est pas possible entre le gros et le petit vendeur.

Mais il arrivera peut-être, des petits marchands, ce qui est advenu des petits voituriers, quand les grandes Compagnies de chemins de fer ont été créées. Ils n’ont pas disparu. Le petit individu n’a qu’un parti à prendre s’affilier à la grosse entité et se servir d’elle ! S’il veut conserver sa personnalité, il court le risque d’être effacé comme un chiffre écrit avec le crayon blanc sur le tableau noir.

Quant aux fabricants, et même aux petits fabricants, leur sort est plutôt agrandi que diminué par les grands bazars. Ceux-ci ouvrent à la production un débouché sûr et certain.

Il faut laisser son initiative au fabricant et choisir entre ses œuvres. Jamais une grande association de capitaux ne sera assez forte pour produire un ouvrier de génie mais elle peut l’étouffer.

Nul ne peut donner des ailes au génie — mais on peut les couper !

Je n’en dirai pas plus long sous la forme abstraite, je reviens à mon système ordinaire du concret. Maintenant, entrons au soir, dans un de ces grands bazars. La lumière électrique est si vive qu’elle, ressemble à une matière palpable. Certains rayons accumulés de lumière produisent l’effet de ces averses de rayons qu’on aperçoit au dessous du soleil couchant.

Les sous-sols sont bien curieux. On y voit un petit chemin de fer de ceinture dont les replis ont un kilomètre de long. J’ai assisté au repas du personnel. Ils viennent par trois bandes immenses hommes et femmes séparés par sexe. Chacun, en passant devant le guichet, prend un plat. La cuisine de ce Gargantua est énorme. Tout y est de premier choix, mais cela m’a rappelé nos réfectoires de collège. J’ai eu tout à coup le cœur serré par cette vilaine vision rétrospective de mon enfance la seule qui ne soit pas lumineuse… le collège ! Le collège, sale au moral comme au physique !

Le bruit qu’on fait dans ce sous-sol est tel que les hommes du service qui passent dans les grands égouts de Paris placés immédiatement au-dessous croient entendre, au-dessus de leur tête, des roulements de tonnerre !

Les femmes que je vois, ont le costume du jour. Le corset fait saillir les hanches. La robe sans plis à la taille, dessine les formes, comme une robe mouillée. La pointe des seins apparaît sous l’étoffe, comme sous le marbre de certaines statues florentines. De temps en temps, la femme cherche dans sa poche la bourse minuscule. On s’étonne qu’un être qui dépense tant ait une bourse si petite !

Partout, le miroitement éclatant des étoffes ! Un voyageur en ballon, passant au-dessus d’un de ces grands halls couvert par une toiture vitrée — croirait voir une cloche de verre, sous laquelle il y a des vives couleurs de fleurs… alors qu’à l’entour reste encore le gris de l’hiver !

Tout est arrangé avec un art merveilleux. Les employés des grands bazars donneraient des leçons à l’auteur de la superbe draperie marmoréenne de la Polymnie.

De nombreux inspecteurs, cravatés de blanc, sont ballottés par ces flots humains et d’autant plus qu’ils restent stationnaires. On dirait de ces bateliers qui surveillent les bains de mer, sur ce petit canot stationnaire, qu’on sait, si affreusement secoué. Ces inspecteurs sont pris d’ordinaire parmi des hommes qui ont eu une situation sociale. J’ai reconnu dans l’un des grands bazars, tout d’abord à son battement en éventail de la main sous le menton geste particulier aux italiens méridionaux un ancien consul de France en Italie. L’homme ne perd jamais certain geste… Un prêtre me racontait qu’un jour à Paris il s’était fait cirer les souliers au coin d’une gare. Il fut frappé par certaine façon de s’agenouiller qu’eut le pauvre vieux décrotteur. Tout à coup, il lui dit à voix basse « Tu es sacerdos ? » L’autre répondit, de la même façon, sans lever la tête « Ego sum ! »

Je remarque bientôt que beaucoup de ces femmes se contentent d’examiner et de palper les étoffes. Elles ont gratis les jouissances du toucher et du regard. Cela rappelle les gamins de Paris se donnant les jouissances de l’odorat, aux soupiraux des cuisines du Palais-Royal !

Un de nos célèbres praticiens m’avait dit « Observez la différence qui exista entre la figure de la femme qui entre dans ces grands bazars et la figure de celle qui en sort. » J’observe. En effet, chez beaucoup de sortantes, la face a un particularisme bizarre. La prunelle est extraordinairement dilatée. Et puis, sous les yeux des toutes jeunes, il y a une couche de bistre — momentanée, parce qu’elle serait trop précoce ! À coup sûr, il y a là un mode nouveau de névrose !

Ces grands bazars sont pour les femmes des maisons de tentations. La gamme des couleurs émeut comme la gamme des notes. Vous sortez aussi las du Salon de peinture que d’un concert où vous avez entendu une longue symphonie de Berlioz !

Certes, je ne parle ici que du gros public pour lequel ces grands bazars sont surtout ouverts. La femme de race relativement élevée – que les saines passions maternelles ou conjugales ont préservée de cette névrose particulière, — ne va chercher dans les grands bazars qu’une économie très précieuse pour son ménage. En faveur de cette utilité importante au plus haut degré social, je pardonne à ces magasins leurs grands dangers. Ces dangers n’en sont pas moins graves, moralement et pathologiquement. Moralement ? je n’ai pas besoin de l’indiquer. Il faudrait le huis clos du livre. Pathologiquement ? Je me souviens d’avoir assisté à la visite du docteur Legrand du Saulle, médecin en chef du Dépôt à la Préfecture de police. Deux voleuses avaient été amenées, la mère et la fille. Elles appartenaient à la classe élevée. M. Legrand du Saulle avait aussitôt constaté la manie du vol dans les magasins… Il y a là selon lui irresponsabilité.

Beaucoup de ces femmes surprises en volant, par des inspecteurs des grands magasins, sont renvoyées par le directeur.

La plupart de ces femmes arrêtées font des excuses et affirment être grosses. Mais il est très facile de reconnaître l’envie sui generis que donne la grossesse. En pareil cas, la femme n’a d’envie que pour la même sorte d’objets. Chez le docteur Legrand du Saulle, on amena un jour une jeune fille enceinte, qui avait, dans son domicile, plus de six cents petites cravates noires d’hommes. Elle les avait volées à différentes fois et dans différents magasins.

Certes, l’employé-homme a beaucoup gagné dans ces nouvelles organisations, mais plutôt gagné en bien-être qu’en bonheur. Je vais m’expliquer.

Quant à l’employée, son bien-être est relativement encore plus augmenté. Les grands bazars ont augmenté le salaire de la femme. Vous savez, la question du salaire de la femme… question de vie et de mort, non seulement pour la femme, mais pour toute la société humaine !

Par exemple, dans les magasins du Louvre, la moyenne du salaire de la femme est de dix francs par jour. Les femmes, chefs des rayons de lingerie, corsets, layettes, confections, trousseaux, modes, etc., se font avec leur part d’intérêts une moyenne de 30 000 francs par an. Trois ou quatre de ces employées ont à, peine trente ans. Les secondes-chefs ont un tiers de moins, et ainsi de suite.

Certes, voilà qui est bien et qui suffirait à faire pardonner le vice dominant de ces grands bazars.

Ce vice est l’organisation fatalement phalanstérienne qui efface la famille. Au contraire, la petite boutique serrait le marchand contre la marchande La triade fondamentale de la société l’homme trois, c’est-à-dire le trio composé de l’homme, la femme et l’enfant, n’est pas détruit par le grand bazar, mais à coup sûr il y est fort mal à l’aise.

Je vois bien dans cette organisation magnifique une carrière sérieuse qui est garantie à là femme et à l’homme, — mais, je n’y vois point la place de l’enfant !

Certes, l’employé et l’employée peuvent être mariés quelques-uns le sont. Mais, en dehors du dimanche, où est la vie commune ? Nourris gratuitement au magasin et séparément, ils sont obligés d’acheter du lait pour leur enfant. Voyez l’ombre froide de Malthus s’étendre de plus en plus sur la société contemporaine. L’organisme social des grandes villes invitait déjà au mariage unipare — il invitera bientôt au mariage stérile !

Certes, mon esprit ne cessera jamais d’être libéral et progressiste. Je ne suis pas comme le pêcheur à la ligne des bords de la Seine, qui déteste la vapeur. Je suis un témoin ému de l’œuvre du siècle ! Je vois surtout dans les grands bazars l’intérêt des consommateurs, c’est-à-dire des acheteurs – l’intérêt des ménages à fortune moyenne. Le grand bazar est donc une belle et une bonne œuvre de notre époque malgré les défauts que j’ai signalés.

Cependant, je confesse encore que le grand bazar, en créant dans ces petits ménages l’uniformité du vêtement, de l’ameublement, etc., blesse certains sentiments très vivaces en moi. Les temps ne sont plus où la femme faisait elle-même sa robe ! Voici le jour où l’étoffe confectionnée va coûter moins cher que l’étoffe non confectionnée de même que le papier imprimé coûte déjà moins cher que le papier blanc ! Jadis la robe faite par la femme elle-même était comme sa biographie ou son portrait qu’elle portait sur elle. On devinait la femme par sa robe ! Maintenant, tout est fait quasi sur le même patron. Le même dessin et la même coupe d’étoffes recouvrent des femmes qui, certes, ne sont pas de même éducation, c’est-à-dire de même âme… de même chair !

Mais le siècle est sourd à ces sentiments-là. Laissons-le donc parcourir fatalement et lentement son œuvre, comme une énorme bête sublime, mais brute… broyant tout et aplanissant tout – pareille à la locomobile broyeuse !

Les grands bazars sont les premières maisons de la grande cité de l’avenir !

Leur lumière électrique, c’est la clarté qui continuera dans la nuit celle du soleil. L’humanité prochaine sera éclairée par un jour continu, comme un été monotone du monde polaire. Adieu bien des choses que nous aimions…

Oui ! ces grands bazars sont, à l’heure qu’il est, un bien social mais ils sont les prodromes d’un immense phalanstère que le vingtième siècle prépare. Vraiment, pour la première fois je suis heureux de n’être plus jeune et de pouvoir espérer que je ne verrai pas ces énormes choses futures ! Je suis de ceux qui aiment mieux la propriété individuelle d’un pot de fleurs que la propriété indivise et collective du Jardin des Tuileries !

Est-il donc écrit que la société matérialiste et ultra démocratique va étouffer à jamais notre vieille société ? Non La Société chrétienne se resserrera davantage. Elle traversera encore le monde inondé par l’esprit matérialiste comme le gulf-stream, cet immense courant chaud, traverse l’Océan froid !..

Ignotus. 

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Échos de Paris


LA POLITIQUE

Ah ! ça n’a pas été long, et nous saurons désormais ce que valent les résistances de M. Grévy.

Nous l’avions bien dit l’autre jour ne pas faire de peine à M. Constans est le principe supérieur de la politique présente, et il a stiffi que l’ancien fabricant de pompes pour fosses d’aisances affirmât ses préférences pour que le gouvernement déclarât se désintéresser de la question du scrutin.

Il restera neutre dans la discussion ; en d’autres termes, il assure le triomphe du scrutin de liste ; personne n’aura le courage ni la tentation de résister quand M. Grévy et M. Ferry ont reculé devant l’idée d’engager une lutte avec M. Gambetta, quand on a défendu à M. Ferry, sous peine de crise ministérielle, —d’exposer son opinion et celle du chef de l’Etat, sur le mode de recrutement de l’Assemblée, et que M. Ferry a obéi. Le président n’avait rien à perdre et tout à gagner ; son risque se bornait à perdre trois ministres quelconques et à jouer la partie devant une Chambre fort hésitante sur la question qui fait le fond du débat. Il ne l’a pas osé, c’est fini ; la Présidence a perdu une occasion excellente de s’affranchir d’une tutelle humiliante et ridicule. Les badauds vont se félicitant qu’on ait évité une crise. La bonne plaisanterie 1 et comme ce ministère d’employés dociles gagne du crédit et de l’autorité à la comédie de ces jours-ci ! Personne ne peut croire désormais que M. Gambetta pardonne à M. Ferry ses velléités de courage, et que M. Ferry pardonne à M. Gambetta l’indicible. humiliation qu’il vient de subir. Il tombe sous le sens que M. Gambetta n’acceptera point l’existence d’un ministère Ferry dans les élections la crise n’est donc que reculée. M. de Freycinet a été victime, au mois de septembre dernier, d’une manœuvre semblable à celle qui coupe les jarrets à M. Ferry et dont celui-ci était le complice il a courageusement donné sa démission. M. Ferry devrait à sa propre dignité de suivre cet exemple. F. M. A TRAVERS PARIS Là. Température. Les —mauvais temps sévissent sur une partie de la France. On a signalé de la neige à Clermont, à Lyon, à Nancy, et du grésil à » Paris. Le temps est a éclaircies et quelques nouvelles averses mêlées de neige ou — de grésil sont probables.. La température a éprouvé une baisse importante. Hier matin le thermomètre n’était qu’à i° au-dessus de zéro dans le centre et l’est delà France il était au-dessous de zéro en Belgique et baissait rapidement au fur et à mesure qu’on avançait vers le nord-est. A Paris, à sept heures du matin, i° au-dessus de zéro ; à deux heures, maximum, 8’. Monaco. Ciel couvert. Therm. élevé. Aujourd’hui, à 1 h. 30, courses à La Chapelle-en-Serval. Départs, gare du Nord 11 h. 50 midi. Le successeur du regretté général Clinchant au poste de gouverneur militaire de Paris est dis à présent désigné par le gouvernement c’est le général Lecointe actuellement gouverneur militaire de Lyon. Toutefois, cette nomination ne sera publiée qu’après les obsèques du général Clinchant. Le général Lecointe avait remplacé à ityon le.’général Farre, et commandait précédemment, le corps d’armée de Toulouse. Il a la réputation d’un officier distingué. 7 Réception, ce soir, à neuf heures et demie, chez M : et Mme Andrieux, à l’hôtel de la Préfecture de police. Le comte de Paris, qui avait quitté Cannes pour aller voir à Eu, son fils aîné, le duc d’Orléans, atteint de la rougeole, retourne dans le Midi, l’élat du jeune prince s’étant sensiblement amélioré. Il s’arrêtera à Paris après-demain vendredi. . 1. Nous apprenons la mort du ! général Boyer, petit-fils, par sa mère la comtesse de La Gorce, de Lefort, l’ami et le conseiller de jeunesse de Pierre le Grand. Né en 1797 et entré au ^service à l’àge de dix-sept ans, comme garde du corps du roi Louis XVIII, il avait gagné tous ses grades en Afrique, où il fut cité treize fois à l’ordre du jour par, les générauxRandon et Changarnier. Quand éclata la guerre de 1870, le général Boyer était dans le cadre de réserve, mais il demanda à rentrer dans Uarmée, aeiive et il fut nommé commandant des subdivisionsde l’Orneet d’Eureet-Loir, où il organisa les bataillons de mobiles. • La paix le rendit à la vie privée. Le comité central des Chambres syndicales a reçu, dans sa séance du 17 courant, communication de l’invitation adressée à son président d’assister au banquet organisé parTUnion nationale du commerce— et de l’industrie, lequel doit avoir lieu le 25 de ce mois. Le Comité central a émis, à l’unanimité, l’avis que son président n’acceptât pas cette invitation, par cette seule raison que le banquet dont il s’agit doit réunir des personnages qui lui impriment un caractère essentiellement politique, alors que, d’après ses traditions et ses statuts, le Comité central a pour principe absolu de s’interdire toute manifestation de cette nature. L’impératrice Eugénie vient d’envoyer cinq cents francs pour les victimes des Sables à M. de Lareintys président du comité <ie secours. Les aqûa-fortistes ont trois jurés à élire le 2 avril. Dans la réunion définitive des graveurs à l’eau-forte ; les noms des candidats ont passé— dans l’ordre suivant MM. Hédoiiin, Gaucherel, Courtry, Bracquemond, Laguillermie et Le Rat. Au lendemain de la soirée de Mme Madeleine Lemaire, une autre soirée artistique a été offerte aux Parisiens par ~M. Alfred Hennequin. Au milieu d’une assistance brillante et des plus choisies, dans laquelle nous avons remarqué le général Jeanningros, MM. Janvier de la Motte, Raoul Duval, de Najac, Massenet, Salvayre, de la’ Pommeraye, Thouveiiel, Eugène Bertrand, Ritt, Briet, le docteur Loeve, le docteur Fauvel, le docteur Gaston Rambert, etc., etc., on a tour à tour applaudi Capoul, Morlet, Coquelin cadet, Mmes Judic ; Bartet, Thuillier, etc. M. Hermann-Léon a chanté une mélodie dont la musique a été faite et accompagnée par l’amphityron lui-même. Le Figaro porte bonheur à ses protégés Depuis le jour où nous avons parlé pour la première fois du signor Carlo, le peintre improvisateur dont on peut voir exposés, dans notre Salle des Dépêches, un tableau et un fusain, les invitations les plus flatteuses sont venues le chercher, et son succès a été en grandissant. Avant-hier soir, il a eu l’honneur de donner une séance chez S. M. la reine d’Espagne, où il a peint en dix’minutes un tableau représentant une vue du Rhin, avec un château sur la rive, et dessiné en cinq minutes un fusain représentant un port. Parmi les invités de Sa Majesté se trouvaient le marquis et la marquise de San Carlo, le marquis et la marquise d’AUa— Villa, le comte Kuepstein, chancelier de l’ambassade d’Autriche la comtesse Kuepstein, le prince de Hanau, le comte Gurowski, etc. La reine, émerveillée, s’est entretenue longuement et gracieusement avec le peintre et avec son impresario, M. Théodore de Glaser. Sa Majesté a même exprimé le désir Je conserver comme souvenir le tableau qu’elle avait vu faire sous ses yeux.. Ce soir, le signor Carlo est invité chez S. A. I. la princesse Mathilde. L’Assemblée nationale Serbe a ratifié hier par 97 voix contre 57, la convention signee par le gouvernementavec M. Bontoux, président du conseil d’administration de l’Union Générale, pour la construction des chemins de fer serbes. Aujourd’hui parait chez Dentu le volume de MM. Henry Duparc et Henry Cochin Expulsions des Congrégations religieuses, récits et témoignages, dont nous avons reproduit la préface il y a quelques jours. M. A. Cabanel a envoyé cette année, au Salon, deux toiles importantes : le portrait de Mlle Mackay et un grand tableau de chevalet : l’Épreuve des coffrets dont le sujet est emprunté à Shakespeare. On connaît la jolie scène du Marchand de Venise, où les prétendants à la main de la belle Fortia doivent passer par l’épreuve des trois coffrets, que les princes du Maroc et d’Aragon ont déjà subie sans résultat. ZD C’est au tour de Bassanio qu’elle aime. Trois coffrets sont là, l’un en. or, le deuxième en argent, le dernier en plomb. L’un d’eux contient le portrait de Portia la main de la belle héritière sera à Bassanio, s’il découvre dans quel coffret est le portrait. Devant Portia tout émue, au milieu des seigneurs, et pendant que lamusique résonne, il ouvre le coffret dont la simplicité fait plutôt une menace qu’une promesse, le coffret le plus modeste. C’est celui-là qui renferme le portrait tant désiré. NOUVELLES A LA MAIN Au cercle. Un sportsman, au comte Georges, qui commence à grisonner. Tu vas toujours chez la marquise de B. ? Toujours. Je croyais qu’elle t’avait banni. de son boudoir ? Oui ; mais je suis resté dans son salon. de conversation. Le petit Paul, qui a sept ans va à l’école, où il brille particulièrement par sa paresse. Dans ma classe, disait-il hier, nous sommes quatre, et c’est moi le plus fort. Puis, voyant son père lui lancer unregard des plus ironiques, il s’empressa d’ajouter Après Louis, George et André ! Taupin arrive hier chez une petite dame, qui l’avait invité à dîner. Il la salue de son air le plus gracieux et lui offrant un bouquet de violettes de deux sous, il lui dit de son air le plus grave J’ai toujours entendu/lire quc, ~pour réussir auprès des femmes, il ne faut jamais reculer devant la dépense1 On cause entre avocats de Cour d’assises on évoque les jeunes années. Te rappelles-tu telle cause à Avignon ?

Parfaitement ; et toi te. souviens-tu de ton affaire à Toulouse ? Et toi de ton client d’Amiens ? Il a été guillotiné, malgré mon plaidoyqr. C’était un fier gredin ! C’est vrai ! mais je m’y suis mal pris, j’étais trop jeune, je le sauverais aujourd’hui t Le Masque de Fer. FIGARŒN RUSSIE La princesse DolgoroukofT. Un chantre nihiliste, Le nouveau préfet de police.— La troisième section et le comité. Loris Mélikolf et M. Lombard. La dernière matinée du Czar, Napoléon III prisonnier aux Tuileries. Une prédiction. Un cuisinier trop impressionnable. Le dernier manifeste nihiliste. (PAR DÉPÊCHE TÉLÉGRAPHIQUE) Saint-Pétersbourg, 22 mars, 5 h. 2, soir. La princesse Dolgoroukoff, veuve morganatique du défunt Empereur, qui, malgré tout ce qu’on en a dit, est toujours à Saint-Pétersbourg, a été si touchée par le malheur qui l’a frappée, qu’elle a été prise de syncopes fréquentes. Le médecin de la cour, le célèbre Botkün, craint pour sa raison. Cette pauvre femme excite réellement beaucoup de pitié. Elle est traitée avec énormément de tact et de bienveillance par le nouvel Empereur et par l’Impératrice, qui veulent lui conserver une habitation au palais. Une autre nouvelle tenue secrète l’Empereur a informé le Sénat qu’au cas où un malheur lui arriverait, il choisissait des à présent, le Grand-Duc Michel, comme Régent de l’Empire. Ce choix significatif, est fait contre le Grand-Duc Constantin qui, ainsi que vous le savez, n’est pas aimé de la nouvelle cour. De nombreuses arrestations sont continuellement faites, plus importantes par l’ensemble que par la qualité des personnages. A la cérémonie de la translation, un faux chantre avait essayé de se glisser dans le cortège. On s’en est aperçu au dernier moment et on l’a arrêté. Une véritable terreur règne chez, les particuliers. On croit voir partout de nouvelles mines prêtes à sauter. La police se donne pourtant beaucoup de mal. Elle devrait le faire savoir pour rassurer le public. Saint-Pétersbourg, 22 mars, 6 heures. Vous savez déjà que le général Baranoff a été nommé préfet de police en remplacement de Feodoroff, dont on a raconté le suicide toute la journée d’hier. Ce racontar était faux, car le général Feodoroff a passé la journée à vendre ses chevaux, de magnifiques trotteurs, à son successeur. L’entrée de M. BarânbfT aux affaires est le gros événement du jour. Il est très significatif. Il rappelle en quelque façon l’avènement de M. Andrieux chez nous au moment des luttes ardentes pour et contre l’amnistie des communards. M. BaranofT est un type nouveau et personnel, comme notre préfet de police parisien ; voilà pourquoi je me suis miss en mesure de vous envoyer immédiatement un portrait rapide de ce personnage qui personnifie avec Loris Méiikoff la nouvelle phase de la lutte corps à corps avec le nihilisme. Cela promet d’être fort intéressant, car tout le monde compte sur lui et respire d’aise depuis sa nomination. J’ai eu ce matin la bonne fortune de causer avec lui dans un déjeuner rapide, à midi. Il était entré en fonctions à dix heures, et il m’a dit qu’il avait déjà reçu trente-huit lettres anonymes lui signifiant sa condamnationà mort par le Comité exécutif. Il en riait de bon cœur, on homme qui méprise souverainement la mort, pour l’avoir souvent vue de près dans les guerres. Il apprécie la gravité de la situation sans l’exagérer, et croit pouvoir entamer ce duel avec chances de victoire, pourvu qu’il ait du temps devant lui. L’Empereur lui a dit : 1.’ Mon père avait l’habitude de ne jamais employer un homme sans le consulter ét> lui demander son consentement ; moi. —je vous ai nommé préfet de police, sans vous consulter, parce que je compte sur vous, quel que soit votre poste. Baranoff a répondu en s’inclinant Ma vie est à vous. Il entre dans ces fonctions avec une gaîté et une bonne humeur charmante ! Il entrevoit cependant la possibilité d’être tué dans la rue ou chez lui. Il faut admirer un pareil courage qui est au moins égal à celui des nihilistes, qui, eux, n’ont rien à perdre. M. Baranoff est un curieux exemple du fonctionnaire russe, type nouveau pour nous autres occidentaux. C’est un vrai marin le premier il a soulevé la question contre les navires construits par l’amiral Papoff, dans des articles carrément signés de son nom, et qui ont paru au Golos. Le Grand-Duc Constantin, grand-amiral, s’en formalisa et en référa à l’Empereur. en le priant de sévir pour cause d’indiscipline. L’Empereur répondit J’ai lu ces articles ; ils sont pleins de lion sens. Dans la dernière guerre contre les Turcs, on lui donna un méchant peti’ navire en bois, nommé la Vesta, avec le* quel il eut à lutter dans la mer Noire contre un monitor turc blindé. Il lui fit sauter sa machine a vapeur. Il fut, pour ce haut fait, nommé capitaine de frégâte, aide de camp. Un peu plus tard, il reprit la campagne contre le Grand-Duc Constantin, dans un mémoire agressif qui fut déféré aux tribunaux. Le verdict, quoique défavorable, fut urf triomphe. BaranolT dut quitter le service quelque temps après et fut nommé colonel d’artillerie. Loris Melikoff l’avait demandé comme collaborateur. Le Grand-Duc Héritier, aujourd’hui Empereur, qui lui est très favorable, le fit nommer gouverneur de Kowno. Loris Méiikoff le chargea d’étudier la police à Vienne, Berne et Paris. Là, il fit la connaissance de M. Andrieux, et étudia de près notre système. Il me disait tout à l’heure Parmi toutes les choses qui m’ont ébloui dans votre organisation, une seule me reste comme point lumineux c’est la décentralisation des services, introduite par M. Andrieux. Initiative, mais responsabilité laissée à chacun. Il a vu combien ce système était préférable à la consigne militaire automatique en usage en Russie. Au physique, voici M. Baranoff un homme aux environs de quarante ans, maigre, nerveux, vif à l’extrême, aux favoris noirs, taillés à la russe, mais courts très simple, très accueillant, gai, souriant, bien connu pour son esprit de répartie, ses à-propos, ses mots saillants, sa bonne humeur constante. Il craint beaucoup le froid depuis qu’il a été blessé à la tète. Il parle très bien 1 «  français, car sa mère est notre compatriote. C’est, en un mot, un type de préfet de police à poigne. Son fardeau est lourd, mais tout le monde le croit de taille à le porter. Les conservateurs de tous les pays doivent lui souhaiter la réussite. ) A. PérivieR ..< r ( Py*l tETTRE) Saint-Pétersbourg, 18 mars. Dans ce premier courrier que je voua adresse après une journée passée à » Saint-Pétersbourg, je ne saurais voua parler d’autre chose que de ce terriblo comité nihiliste, dont personne ne. connaît un seul nom, qui siège on ne sait où, qui possède des centaines de mille francs pour payer les frais de ses horribles machinations, qui a des chimistes pour fabriquer ses bombes, des ingénieurs pour creuser ses mines, des typographes pom composer ses proclamations, des afficheurs pour les coller à la porte même des palais impériaux –r puissance formidable, insaisissable, dont l’histoire n’offre aucun exemple, et qui fait penser à quelque mélodrame machiné par un génie infernal, car tout y est calculé pour l’elîefc et tout y est supérieurement réglé, comme dans nos bons vieux drames d’autrefois. Ce comité a entrepris une lutte épique avec la police russe, et celle-ci n’a malj heureusement pas eu le dessus. Ce n’est pas qu’elle manque de bonne volonté, ni mêmV d’énergie, mais elle est beaucoup trop jeune, et elle n’est pas le moins du monde —initiée aux secrets et aux trucs de cet art difficile. La troisième section, qui équivaut à ce que nous appelons chez nous la police de Sûreté, n’a pas été instituée, comme on se l’imagine généralement, pour faire de la police. Dans l’origine, elle avait pour but de faire connaître au Czar, personnellement, les abus des propriétaires et des fonctionnaires. Plus tard, quand elle se trouva en présence de.s. nihilistes, son personnel n’était nullement préparé