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Page:Le Franc - Grand-Louis l’innocent, 1925.djvu/155

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GRAND-LOUIS L’INNOCENT

les marins du pays, hirsutes comme eux, avec de la hardiesse dans leurs yeux noirs et ronds, et aux pommettes, un vermillon qui représentait le hâle de la mer.

Le soir arrivait, et c’était le soir qu’il se rapprochait d’elle. Le jour, elle regardait vers lui. Il s’enveloppait de sa douceur distante. Des deux, il avait l’air le plus méditatif. La nature prenait dans ses pré­occupations la place d’un métier chez les autres, peut-être d’un art. Il ne fallait pas le distraire au moment où il étudiait la marche d’un nuage ou la direction d’un coup de vent. Un matin de beauté ensoleillée sur la baie faisait trembler ses lèvres. Il était poète à sa façon. Ève reconnaissait les symptômes.

Du haut du promontoire, il suivait la manœuvre d’un bateau de pêche surpris par le mauvais temps, avec une passion qui le prenait tout entier, et abolissait le monde autour de lui. Il serrait les lèvres, les veines de son cou se gonflaient, ses yeux plongeaient dans les écumes, exprimant la volonté de la lutte et de la victoire, ses bras raidissaient leurs muscles, comme ceux du matelot à la barre. Ève assistait sans rien dire au drame qui se jouait en lui.

Le soir, on l’eût pris pour un homme normal, qui rentre au logis las de la journée,