Aller au contenu

Page:Le Franc - Grand-Louis l’innocent, 1925.djvu/22

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
12
GRAND-LOUIS L’INNOCENT

vêtements étaient d’une propreté surpre­nante.

Il ne la voyait pas. La lumière tombait sur le pain. Tout le reste disparaissait dans l’ombre.

Quand il eut fini, elle versa le café encore chaud qu’elle remua avec une cuiller d’argent, lui tendit la tasse. Il avança les lèvres, et il but de ses mains, comme un convalescent, et elle vit de près les ombres amassées sous les paupières. Le grand corps osseux trem­blait. Il venait de fournir une longue traite.

Ayant bu, il leva la tête. Il parut réaliser la présence d’Ève à ses côtes. Les yeux au regard extraordinaire se posèrent sur les siens, prirent contact avec tout le visage. Il y flottait une douceur à la fois désarmée et puissante. On eût dit que cet homme n’avait jamais vécu parmi les hommes. Il possédait le regard neuf d’une créature des bois. Et pourtant une inquiétude était au fond, faisait une tache dans ce regard liquide. Elle remonta à la surface, par degrés. Alors la lèvre un peu pendante trembla, la gorge émit un son rauque, sans paroles, et l’homme auquel on avait jeté un sort s’éloigna par la lande.

Ève à son tour s’appuyait des deux mains à la table, en silence, et ses yeux regardaient très loin, par-dessus la mer.