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Page:Le Franc - Grand-Louis l’innocent, 1925.djvu/54

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GRAND-LOUIS L’INNOCENT

Ève qui examinait le pays se retourna tout d’un coup vers son compagnon pour lui désigner ce qu’elle croyait être l’emplace­ment du Landier. Elle suspendit son geste.

Il se tenait les bras croisés, le visage tourné vers la mer. Ses yeux à demi-clos embrassaient pourtant la vaste courbe du large. Ses longs cheveux rejetés en arrière et sa moustache tombante lui donnaient l’air d’un prophète. Une illumination qui venait du dedans ruisselait sur ses traits, mêlée au soleil qui les baignait. Elle remarqua que les fortes lèvres tremblaient sur les dents proéminentes, mais ce n’était plus de fureur.

Elle ne chercha pas à deviner ce qui l’agitait ainsi, émotion d’âme ou allégresse physique dont elle aussi se sentait au même moment déborder.

Des exclamations étouffées sortaient de sa bouche. Un souffle tumultueux gonflait sa poitrine.

Un souvenir revint, vivide, dans la mé­moire d’Ève.

Un jour d’hiver à l’étranger, elle avait croisé un jeune enfant qu’une nurse poussait devant elle dans un traîneau. Il faisait froid, la rafale tourbillonnait si fort qu’on ne voyait rien devant soi et le trottoir se rétrécissait entre les hauts bancs de neige.