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Page:Le Franc - Grand-Louis l’innocent, 1925.djvu/76

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GRAND-LOUIS L’INNOCENT

mains croisées sur leurs tabliers, récitaient les noms des jeunes hommes morts à la guerre, du ton dont elles disaient leur chapelet. Leurs voix étaient étrangement résignées, coupées de silences.

Grand-Louis faisait la distribution du poisson dans le bûcher, qui devint son quar­tier général. Il y gardait des outils rudimen­taires, y suspendait son filet de pêche.

C’était aussi son cabinet de toilette. Cha­que matin, il s’ébrouait à grand bruit, le torse nu, à la façon des marins, dans l’eau saumâtre puisée à la citerne. Tout y était rangé avec un soin méticuleux, et pendant ses absences, Ève entr’ouvrait parfois la porte du réduit un peu en contre-bas du sol, éclairé d’une demi-lumière, pour respirer l’odeur de goudron mêlée à celle du bois sec.

Il portait pour aller en mer un vieux cha­peau de feutre qu’il attachait sous son menton à la manière d’un suroît. Et le visage ainsi encadré apparaissait avec sa légère couche de hâle sous laquelle circulait le sang vif, ses larges yeux jamais troublés qui se posaient sur le monde avec une si tranquille confiance. Leur expression était moins vacante depuis qu’il menait une vie plus active.

Les jours de pluie, il portait un long caban ciré. Ainsi équipé, avec sa fouine ou son