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Page:Le Franc - Visages de Montréal, 1934.djvu/104

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marie le franc

dans la porte tournante comme des insectes d’entomologie, rouges ou violets, le sien reste imperturbable : crème et ambre. Elle fera le tour de Hill-Park d’une seule haleine, à bride abattue. Il faudra baisser la tête en passant sous des branches chargées de neige. Elle boira l’air glacé comme elle avale le matin son verre de Caledonian. Elle n’analyse pas ses impressions, elle résume : tout est blanc, tout est pur, tout est silencieux, son cheval galope à la perfection sans risque de buter et elle n’a plus de soucis. Elle éprouve à travers lui le plaisir de fouler la neige. Ils vont si vite qu’ils n’ont pas le temps d’avoir peur des ombres. Il n’y a plus de bornes entre la sensation et le sentiment : la neige abolit tout. Car c’est à quoi ses rêves les plus heureux la mènent : l’oubli. Et c’est l’oubli qu’elle demande au sommeil, au cinéma, à ses promenades sur Hill-Park. De même qu’elle se complaît à l’atmosphère torpide d’un appartement, elle aime s’abandonner à une sorte de somnolence morale. Elle est dans un état de veines ouvertes. Oublier, dit Jeannine, dormir, ne plus savoir où l’on est, glisser dans la tiédeur, dans le noir, dans la neige, perdre son identité.


Elle va à l’église aussi, une pauvre église de faubourg où elle peut amener Nanki, qui demeure bien tranquille sous son banc. L’église joue un