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Page:Le Franc - Visages de Montréal, 1934.djvu/115

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visages de montréal

pas question d’y renoncer. « Je m’arrangerai ! » dit-elle à ceux qui suggèrent timidement des économies. Il n’est pas question non plus d’assister aux cours de l’Institut qui ont lieu dans la matinée. Jeannine, en dix ans, n’est sortie le matin qu’une fois pour prendre le bateau de France, flanquée de cartons à chapeaux, de caisses, de boîtes de toutes dimensions, en plus de sa malle ; une autre fois pour aller à un enterrement auquel elle trouva, grâce à ce petit matin, une poésie, une fraîcheur, un mystère étonnants.

Le petit monsieur entre deux âges vivote de son Institut. Il reçoit Jeannine avec cérémonie. Sa barbiche pointue et son gilet clair font penser à un crayon effilé et à un cahier neuf. Il donne d’abondantes explications d’une voix qui chevrote. La première leçon passe à cause de la nouveauté du lieu. Jeannine examine les lithographies, les chaises de cuisine et le linoléum, trace des bâtons, lorgne des hiéroglyphes du bout de son face-à-main ; mais les suivantes lui inspirent un écrasant ennui qu’elle dissimule pour ne pas faire de peine au petit monsieur. Elle trouve de plus en plus de prétextes pour remettre les séances. Une fois, un bâillement lui échappe. Et c’est sans doute à cause de ce bâillement que le professeur a posé sur la sienne une main ridée, une main sténographique où s’inscrit une existence indéchiffrable de chétifs