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Page:Le Franc - Visages de Montréal, 1934.djvu/131

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visages de montréal

plantés à l’époque du seigneur de Maisonneuve, devenait une rue comme les autres, contre laquelle je me révoltais. Elle faisait injure à Florence par ses maisons banales de briques déjà noircies que tenaient ensemble de maigres cordons de plantes grimpantes. Elle privait Florence de son aristocratique isolement. Je soupçonnai ces maisons d’appartenir à des Juifs, enrichis des dépouilles des boursiers malchanceux de Pleasant View. Il semblait vraiment qu’une éruption eût passé sur la colline, ne laissant debout que ces prétentieuses bicoques.

La rue me parut beaucoup plus longue qu’autrefois, angoissante à regarder. Elle portait bien le même nom, mais avait changé de visage ; une autre artère la coupait en son milieu, transversalement, et cela lui faisait une affreuse balafre. Elle avait raboté la colline même. En la descendant, ma mémoire devenait un gouffre au fond duquel je ne retrouvais rien.

J’appelais le nom de Florence comme au fond d’un bois, sans pouvoir me rappeler le nom de famille sous lequel je l’avais connue. Si je ne réussissais pas à retrouver sa maison, Florence était perdue pour moi. Mon regard faisait le tour des façades d’une façon égarée, comme lorsqu’on cherche quelqu’un dans la foule.