Aller au contenu

Page:Le Franc - Visages de Montréal, 1934.djvu/14

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
14
marie le franc

mobiles au cœur de Widgeon, de l’aube au soir d’une journée infinie, nous sentions pousser sur nous une ombre moussue. La robe verte d’Elfie, à ma gauche, dégageait un parfum de jeunes feuilles ; la veste brune de Cavelier sentait l’aiguille de pin.

La femme-fée détournait rarement le visage : son profil enfonçait son tranchant délicat dans l’aubier de la lumière. Cependant, il lui arrivait de reculer quand un spectacle d’une grandeur dure et fermée refusait au premier choc de s’ouvrir, et son regard se coulait un moment dans ma direction pour voir si moi aussi j’avais éprouvé le même refoulement violent. Puis elle se renfermait de nouveau dans sa secrète jouissance, refusant d’en rien distraire en paroles. Mais la beauté absorbée suintait des lignes fondues de son visage, de la courbe chaude de sa hanche à mon côté, de la palpitation de son cœur sous sa mince robe. De ses bras tendus, de ses poignets déliés, elle poussait Widgeon de l’avant et lui tâtait le pouls de ses mains fermement posées sur le volant.

Était-ce nous qui défilions ? Était-ce le paysage ? Nous avions l’air de créatures fantastiques lancées à la même allure. Il y avait entre lui et nous un défi de maintenir notre rencontre à cet état d’irréalité, de poursuite aigüe, à cet aspect