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Page:Le Franc - Visages de Montréal, 1934.djvu/163

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visages de montréal

a peur de se regarder dans ce miroir placé sous ses yeux : un homme arrivé. Ils ont une certaine pudeur à s’y reconnaître tous les trois ensemble, nus. Il est ce que chacun d’eux rêve de devenir, veut devenir. Ils serrent leurs poings au fond de leurs poches et leur langue au fond de leur bouche. Leur rêve a la force d’une morsure. Le voyageur Duc Lurcain s’est arrêté un instant parmi eux, comme à une gare perdue. La France souffle dans leur désert. Il représente l’évasion. Ils sortent des bâtiments pompeux de l’Université, des couloirs craintifs de la diplomatie, pour sauter sur le marchepied d’un train en marche. Ils en ressentent un certain vertige. Il semble qu’ils aient repris le béret d’étudiants, que le vent soulève les pans de leur pardessus et les bouts de leur cravate, qu’ils s’égosillent à crier à la portière vive quelqu’un ou à bas quelque chose, qu’ils franchissent des zones défendues. Lurcain, c’est un nouveau départ. Ils oublient la Tradition, l’École, la Carrière, le Fonctionnarisme. Ils en perdent leur latin. Est-ce qu’ils n’auraient pas le droit de choisir, à perpétuité ? Un chemineau choisit bien sa route ! Celui-là choisit bien la matière de ses livres. Il fait des renouvellements perpétuels en lui. Il se déboise. Il s’assoit en rond et repart par une fourche nouvelle. Une révolution est dans leur bouche. Elle les a surpris. Elle les étouffe. Ils serrent les dents