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Page:Le Franc - Visages de Montréal, 1934.djvu/177

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visages de montréal

amour du risque. Je suppose que c’est de là que vous vient cette autorité dans le clin d’œil et le geste de l’index, qu’ainsi s’explique que le maître d’hôtel chuchote à votre oreille avec tant d’onction, en vous présentant le menu, le nom du plat qu’il recommande, et que la jeune fille aux cigarettes, que vous appelez M’rie, mais qui a les cils, le bleu de l’œil, les dents, les pommettes, le teint, le sourire et l’accent les plus irlandais du monde, se souvient que vous ne fumez que des Virginia.

Ainsi s’explique que la voix que j’ai pour vous répondre au téléphone, lorsque vous trouvez le loisir de m’y appeler, est glissante et superficielle comme une pierre qui ferait des ricochets. Elle tâche de ne pas s’appesantir, d’aller jusqu’au bout de son effort pour être légère. Elle finit par s’enfoncer, mais vous n’en verrez que les bonds de surface. Votre ton à vous ressemble à celui avec lequel vous faites sourire la petite M’rie. Peut-être sa jovialité est-elle forcée. Peut-être vous doutez-vous que je ne souris pas.

Vous avez beaucoup à dire dans cette première conversation. Et ce que vous dites est ordonné comme une colonne de chiffres. J’apprends le nom du bateau qui vous ramena, le nombre de vos engagements depuis votre arrivée, non leur objet, le temps exact que vous passerez en ville, la date de votre départ pour la Nouvelle-Zélande ou la Cali-