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Page:Le Franc - Visages de Montréal, 1934.djvu/189

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visages de montréal

plaisir, après tant de chemin, de ne vous être point perdu. On peut toujours se procurer cravates et faux-cols made in England, que ce soit à Melbourne ou à Bombay. Parce que la même exclamation d’impatience vous échappe après une éraflure de rasoir, vous voilà convaincu que vous n’avez pas changé, à l’encontre du paysage qui défile aux vitres du train, de la mer qui bat sous le hublot, de la ville qui se hausse, vous ne savez de combien d’étages, à la fenêtre. Oui, vous êtes né ainsi. Vous dépassez toujours le cadre. Il y a en vous je ne sais quel élément mouvant qui empêchera peut-être, vous disparu, que vous laissiez de marque. Je vous regarde comme si vous étiez atteint d’un mal mystérieux. Vous appartenez au pays que vous n’avez jamais vu, à l’émotion que vous n’avez jamais éprouvée. C’est vers l’inconnu que vous porte votre rêverie. Quel empire entrevoyez-vous dans les lentes spirales de cette cigarette que vous vous attardez à fumer, et pourquoi tout d’un coup la rejetez-vous comme si elle vous brûlait les doigts ?

Un soir, dans cette salle de fêtes dite vénitienne, dont les murs, je ne sais par quel artifice, avaient l’air sous leurs fresques de baigner dans l’eau du Grand Canal et où la musique semblait venir des gondoles qui étaient peintes dessus, je vous vis suivre d’un regard prodigieusement intéressé un