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marie le franc

Cet homme à la maison petite, qui dédaignait les trésors bâtis, avait un domaine forestier où il pouvait promener de long en large ses rêves. C’était toute la sauvage nature capturée, à la hauteur de sa main, mais qu’il dédaignait cependant de tenir en laisse. La forêt continuait à vagabonder. Possédée, elle demeurait maîtresse. Nous passions dans de vastes allées qu’il avait tracées lui-même au cœur de la brousse et qui filaient devant lui tout droit comme la respiration de sa poitrine. Elles étaient faites pour lui seul et ses hôtes d’occasion. Il en avait besoin pour porter son regard. Les allées fouillaient pour lui les lointains, d’un élan exaspéré, à la façon d’un désir d’homme. Il était cuisant de s’y retrouver chaque jour sans pouvoir en allonger la perspective. Elles posaient à l’horizon la même borne. Il était arrivé à leur rectitude au prix d’efforts patients et d’une fortune engloutie, guidé par l’unique souci de leur perfection. L’automne, elles se remplissaient du torrent rouge des feuilles et il connaissait une ivresse marine à se sentir pris dedans jusqu’aux genoux et à les fendre à longues enjambées bruissantes. Il songeait parfois qu’il aurait de moins en moins de force pour lutter contre elles. Après son départ, il se représentait leur veine noircie bourrée de la neige duveteuse de l’hiver que, prisonnier de la capitale, il ne pouvait