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Page:Le Franc - Visages de Montréal, 1934.djvu/27

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visages de montréal

semblait qu’elle fût venue au monde dans cette barque dont elle épousait les lignes, le balancement, l’allégresse. Elle ne songeait pas à discuter l’acceptation de ce qui s’offrait, étant elle-même toute offrande. Le velouté de ses yeux faisait suite à celui des creux d’ombre aux aisselles des branches de pin. Elfie, dont j’ignorais la maison et l’état-civil, trouvait soudain une raison d’être dans le cadre de Blue Sea. Arrachée à l’emprise de Widgeon, elle n’avait plus cette apparence de fuite dans l’espace et dans le temps. Elle appartenait à ces lieux par sa couleur, sa forme, la goutte d’ombre de son regard, son détachement des choses, son absence de pesanteur. Il n’y avait chez elle aucun effort pour s’adapter. Elle était de même essence que ce qui l’entourait. On eût cru qu’enfant elle avait parcouru cette forêt et apparaissait aujourd’hui à la lumière, toute imbibée de ses parfums. Quand à l’heure du bain nous la vîmes choisir un rocher abrupt pour se jeter à l’eau qu’elle fendit de la cisaille de ses longues jambes lunaires, sous l’intimité du ciel, et qu’elle prit le large, j’eus l’idée qu’elle aborderait loin de nous, dans une anse détournée, et que confondue avec les feuilles elle disparaîtrait à jamais dans le sous-bois.

Saint-Loup dominait Blue Sea du regard. Peut-