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Page:Le Franc - Visages de Montréal, 1934.djvu/58

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marie le franc

d’un grand diplomate. Elle ajoutait malgré elle, avec une mélancolie dans la voix :

— Ah ! s’il voulait…

Il rencontrait assez souvent dans les bibliothèques Mlle Lucienne, qui préparait son doctorat de philosophie. Lui-même… Eh ! bien, lui-même, évidemment, l’avait passé l’année de la guerre. Il découvrait qu’ils avaient eu les mêmes professeurs, à Toulouse, à des années d’intervalle. Ils bavardaient ensemble avec plaisir. Il expliqua à Mlle Lucienne que son nom signifiait en grec « petit bois sacré », et comme elle était fraîche comme un bouquet de feuilles, l’explication parut toute naturelle. Ils s’entretenaient peu du mérite de la Faculté de Toulouse : ils se rappelaient seulement que tel professeur avait une barbe, celui-ci un feutre légendaire, celui-là ne se séparait pas de sa cape. Et ceux qui écoutaient sans rien dire, avec une somnolente fatigue, les échanges de souvenirs entre le prince et Mlle Lucienne, finissaient par résumer le corps universitaire dans un seul personnage qui, la barbe au vent, le chapeau cabossé, se promenait dans la ville, en rasant de sa cape les maisons roses. Ils en revenaient aussi à la planète Mercure, aux théories d’Einstein, aux démonstrations avec la canne sur le tapis persan, dont ils renversaient sans s’en apercevoir les beaux