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visages de montréal

de grandes roses American Beauty, et pour lui un panier contenant des oranges de Californie et des raisins importés des serres de Belgique. Il lui semble qu’elle aurait dû, les jours où ils venaient la voir, varier le menu du goûter et remplacer le jambon des petits pains par du pâté de foie gras. Elle rêve à présent de s’en aller à travers les ruelles sombres où la neige tragique complote sous le masque, le long du terrain vide où une grue abandonnée dresse son bras gigantesque vers le triste appartement dans lequel Mlle Fourcade prépare, à l’abri du rideau, le chocolat du souper. Lucienne porterait sous son bras un paquet. Elle traverserait le sitting-room où le prince contemple, dans la lumière grise comme une neige qui fond, les photographies du château sous scellés et de la femme folle, ou bien rêve toundras et marécages, se brûle à des feux follets, se laisse prendre dans les engrenages d’usines traîtresses. Il ne la verrait même pas. Elle traverserait la pièce, remuant à peine l’air comme avec un bouquet de feuilles. Elle soulèverait la portière. Elle sourirait à Marie-Louise qui, en la voyant, repousserait d’une main la torsade de ses cheveux trop lourds sur son front, du même geste qu’elle relève sa voilette. Elle poserait sur la caisse qui sert de table le paquet qu’elles ouvriraient ensemble : il y aurait dedans un poulet rôti acheté au Delicatessen Store. Marie-