Page:Le Goffic-Thieulin - Nouveau Traité de versification française, 1897.djvu/17

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versification soit empruntée directement des poètes classiques latins, puisque notre vocabulaire lui-même vient du latin populaire, langue fort différente du latin classique. Mais nous savons que, chez le peuple romain, le sentiment de la valeur des syllabes s’oblitéra peu à peu : les brèves et les longues se confondirent et l’accent resta presque seul sensible à l’oreille. Le succès de la versification classique parmi les lettrés eut certainement un retentissement chez le peuple lui-même, et peut-être influa-t-il sur la poésie populaire, qui, dans cette hypothèse, aurait repris pour son compte les mètres classiques en remplaçant les longues par des toniques et les brèves par des syllabes atones[1]. Nous en trouvons un exemple dans certaines hymnes liturgiques latines du haut moyen âge, qui sont évidemment des imitations de rythmes classiques ; les syllabes accentuées y jouent un rôle analogue à celui des longues dans la poésie classique. Il est possible que nos premiers poètes de langue romane, suivant en cela les traces du peuple romain lui-même et guidés par l’exemple des poètes liturgiques contemporains, aient été conduits à créer, par altération des rythmes classiques, un type de vers accentué, ancêtre de notre vers actuel[2].

Telles sont les deux hypothèses en présence. Encore que la première paraisse la moins hasardeuse, il

  1. V. LITTRÉ, Histoire de la langue française, t. 1. — L. Gautier, Chanson de Roland, édition classique, p. 442.
  2. C’est ainsi par exemple que, d’après M. L. Gautier, notre vers de huit syllabes viendrait de l’ïambique dimètre transformé :

    Fôrti | séqué | mur pec | tere