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Page:Le Goffic - L'Âme bretonne série 1, 1902.djvu/139

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comme pouvait faire le surnaturel. Il boit à grands traits cette haleine insipide, mais franche ; il est comme un homme dévoré de soif, à qui l’on a servi longtemps des boissons frelatées et troublantes et qui se jette avec avidité sur la première source d’eau claire qu’il rencontre. Délices inexprimables de l’affranchissement, de la liberté d’esprit enfin reconquise ! La joie de l’exilé ainsi replacé dans le courant naturel de la vie n’a d’égale que son horreur pour les limbes de sa vie passée. Presque tous les grands Bretons, de Pelage à Félix Le Dantec, ont offert des exemples de cet étrange revirement d’esprit ; mais, au plus bas degré de la race, chez les femmes, la plupart illettrées, toutes d’instinct, le même revirement s’observe avec plus de spontanéité et de violence peut-être encore : les domestiques bretonnes, qui s’engagent à Paris dans les familles françaises, en moins de quinze jours ont perdu toute foi, rompu toute attache confessionnelle et, non seulement elles ne « pratiquent » plus, mais elles mettent on ne sait quelle ardeur sombre à détester tout ce qu’elles adoraient. L’idéalisme de ces malheureuses, ainsi contrarié dans ses aspirations supérieures, s’il ne s’épuise pas à vêtir d’agrément la conversation des somnambules et la lecture des romans-feuilletons, se rabattra vers des satisfactions moins innocentes, dont le mieux qu’on puisse dire est que la gaucherie, le désintéressement et la passivité qu’elles y apportent sont encore une manière d’hommage à la noblesse de leur ancienne condition.