Page:Le Goffic - L'Âme bretonne série 2, 1908.djvu/126

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

très noble Kervoura. Les strophes précédentes avaient des grondements d’Internationale :

Que l’ouvrier repose, il est battu :
Qu’il travaille, il ne l’est pas moins.
Ces seigneurs, ils sont les fils du diable
Et nous les damnés de la terre[1]

On attendait, au refrain, un cri de révolte, de colère : « Taisons-nous », dit le chœur. Dernier mot de la philosophie bretonne ! Elle n’a pas changé depuis le XVIIe siècle et c’est bien là-dessus qu’on spécule en certains milieux. Nulle part, l’alcool aidant, l’exploitation de la pauvre bête humaine n’a été poussée aussi loin qu’à bord de certains navires islandais ou dans ces sècheries saint-pierraises, dont le personnel, âgé de 13 à 16 ans et recruté parmi les petits meurt-de-faim des Côtes-du-Nord, mangeait au même baquet, couchait sur la même litière et, pour six mois de labeur exténuant, sous le fouet des maîtres de grave, s’estimait heureux de rentrer au logis à la tête d’un pécule de quarante sous[2].

Si la mort est parmi les inévitables échéances qu’une telle race, de tout temps, envisagea sans frayeur et

  1. Les mots soulignés sont en italique chez Guillaume Le Jean, dont j’emprunte la traduction (La Bretagne, son histoire et ses historiens. Nantes-Paris, 1830). Ils ne se trouvent ni chez Souvestre, dans les extraits qu’il a donnés de Sainte Tréphine, ni dans la version de Luzel, revue par l’abbé Henry.
  2. Voir, dans nos Métiers pittoresques, le chap. Une Traite d’enfants au XXe siècle.