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chaires à prêcher. On dit : « Pourvu que M. le Recteur ne reste pas trop longtemps dans son chipot ! » (Entendez : Pourvu que son prône ne soit pas trop long !).

Et voici encore un détail qu’on retrouve chez tous les contemporains : Yann, quand il composait ses chansons, avait à portée de la main une baguette de saule ; se défiant de sa mémoire et ne sachant ni lire, ni écrire, ni compter, il faisait une coche dans la baguette, après chaque couplet. Le châtelain actuel du Castellic, M. Tallibart fils, croit même se souvenir qu’il y traçait, à la pointe du couteau, d’autres signes mnémotechniques, « de manière sans doute à reconnaître au premier attouchement la chanson à laquelle se rapportait la baguette ». Yann liait ensuite ces baguettes en faisceaux « qui constituaient sa bibliothèque ».

Cependant Yves Le Coz, cultivateur à Kerotré, qui le fréquenta aussi dans son enfance à Crec’h-Suliet, sans contester les baguettes, ne pense pas que Yann en fit usage chez lui.

— Dehors, bon ! me dit-il. Mais quand il travaillait à domicile, ce qui était rare, du reste, l’aveugle procédait autrement. Je l’ai vu opérer et je sais comme les choses se passaient à chaque couplet composé, il plantait dans le mur un ibil[1], comme font les joueurs de boule pour marquer leurs points.

C’est un des hommes les plus précieux à consulter sur Yann-ar-Gwenn que cet Yve Le Coz. Il est âgé de 78 ans. Il avait donc seize ans à la mort du barde et il eut tout le loisir de le connaître, Kerotré, où il habitait et où il habite encore, n’étant qu’à une por-

  1. Goupille de bois pointu.