Grand, sec et droit, ses soixante-dix-huit hivers ne lui ont pas fait perdre un pouce de sa taille. Avec son nez pointu comme un bec, son crâne démesurément allongé et l’espèce de crête ou de huppe que dessine au-dessus du front son poil blanc comme la neige et rêche comme du chiendent, il a l’air d’un geai, d’un grand geai chenu, le Nestor de l’espèce…
— Ainsi, dis-je, pour engager la conversation, vous avez connu Yann-ar-Gwenn ?
— Si je l’ai connu ! Mieux que mes père et mère, peut-être, monsieur, soit dit sans offenser leur mémoire. Quand je n’étais qu’un enfant, le vieux Le Gwenn m’honorait déjà de son amitié. Ces choses-là ne s’oublient pas. Je lui rendais de menus services, sans doute. Dans les débuts, Yann, qui ne savait ni lire ni écrire, se rendait à Lannion ou à Morlaix avec ses baguettes et y dictait ses chansons aux imprimeurs. Mais plus tard, quand la réputation lui vint avec la fortune, il prit un secrétaire…
— Un secrétaire !
— Oui, monsieur… François Le Ruzic, de Kerlouc’h, le plus savant homme à la ronde, après M. le curé. C’était toujours Yann qui composait les chansons, mais c’était Le Ruzic qui tenait la plume.
— Et Le Ruzic gagnait gros à ce métier ?
— Deux sols par chanson. Mais Yann, désormais, pouvait dormir sur les deux oreilles. Environ la mi-juin, quand le blé commence à épier et les pèlerins à bourdonner autour des places dévotes, avant de boucler son sac et de se mettre en route pour Saint-Jean-du-Doigt ou Saint-Hervé-du-Ménébré, il repassait mentalement son répertoire à l’aide de ses bâtons. Avait-il oublié un couplet ? Si son secrétaire n’était pas là, il me faisait appeler. J’avais passé deux ans et demi à l’école et je savais lire : je n’avais pas de