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TRISTAN CORBIÈRE[1]



Le 1er  mars 1875, dans la trentième année de son âge, s’éteignait à Morlaix un pauvre être falot, rongé de phtisie, perclus de rhumatismes et si long et si maigre et si jaune que les marins bretons, ses amis, l’avaient baptisé an Anhou (le Spectre).

Il portait à l’état civil le nom prédestiné de Corbière : une « Corbière », c’est, dans la langue maritime, le liseré de côtes sur lequel s’exerce la surveillance des douaniers et qui est hanté par la contrebande et la quête des épaves. Poète, il garda le nom, mais remplaça ses prénoms (Edouard-Joachim) par celui de Tristan, peut-être en souvenir de ce Tristan de Léonois qui fut la première et la plus illustre victime des fatalités de la passion, peut-être pour obéir à la mode romantique des prénoms moyenâgeux, peut-être pour se moquer de lui-même et de sa figure d’enterrement, peut-être pour toutes ces raisons à la fois. Et, par bravade ou sympathie, il donna le même nom à son chien, le plus crotté des barbets d’Armorique. Ils n’allaient jamais l’un sans l’autre. On n’a pas encore oublié les deux Tristan à Roscoff, où se déroulèrent, de 1866 à 1872, les plus palpitants chapitres de leur carrière accidentée. La famille Corbière possédait dans ce « trou de flibustiers », près

  1. Cette étude a paru comme préface aux Amours Jaunes, dans la nouvelle édition publiée par l’éditeur Messein et revue par Charles Morice.