Page:Le Goffic - L'Âme bretonne série 4, 1924.djvu/208

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ces comme celles-là, qui n’ont d’analogues, dans notre littérature, que certaines octaves du Grand Testament ! Corbière ne s’est jamais élevé plus haut, même dans ses pièces maritimes. Et c’est ici qu’on commence d’apercevoir ce qu’avait de trop général la critique d’un Huysmans, déniant à l’auteur toute « capacité de réalisation » et ne lui accordant que des sursauts, ou, comme Rémy de Gourmont dira, des à-coups de génie. Acceptable pour une partie de l’œuvre de Corbière, ce verdict ne l’est plus pour l’ensemble : Corbière s’est « réalisé » au moins une fois dans la Rapsode foraine et, quand il n’eût écrit que ce poème (le plus important des Amours jaunes, remarquez-le), il mériterait encore de survivre. Mais il en a écrit d’autres qui le valent presque et, dans Armor même, le Vieux Roscoff et cette Pastorale de Conlie dédiée à Gambetta et dont restera ineffaçablement marquée l’imbécile méfiance des politiciens qui, en 1870, par crainte d’un coup de force royaliste, immobilisèrent dans la boue une armée de 50.000 Bretons ; il a écrit Matelots, Aurora, le Novice en partance, le Douanier, Lettre du Mexique, la Fin surtout, cette réplique cinglante au Victor Hugo Oceano Nox, dont il n’est pas sûr, comme le disait Verlaine, qu’elle contient toute la mer, mais qui contient certainement toute l’âme orgueilleuse et nostalgique des marins. Corbière est le premier qui les ait compris, qui les ait fait penser et parler comme ils pensent et comme ils parlent, et c’est de lui que date leur entrée dans la poésie :

Eh bien, tous ces marins — matelots, capitaines,
Dans leur grand océan à jamais engloutis,
Partis insoucieux pour leurs courses lointaines.
Sont morts — absolument comme ils étaient partis…