Page:Le Goffic - L'Âme bretonne série 4, 1924.djvu/210

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V.


Ce ne fut pas la mer qui le prit. Une femme passa, une « Parisienne ». Belle, jeune, élégante et titrée, elle devina le secret si bien caché à tous les yeux ; elle aima Corbière : il était trop tard, et cette conjonction romanesque d’une héroïne de Feuillet et d’un triton des eaux bretonnes n’enrichit pas d’un brillant chapitre la littérature sentimentale du dix neuvième siècle.

La faute n’en fut peut-être ni à l’un ni à l’autre, mais à la vie : le bonheur demande un apprentissage que n’avait pas fait Corbière. Un homme qui a connu profondément l’auteur des Amours jaunes son cousin Pol Kalig, l’a défini « un tendre comprimé ». Il y a sans doute des compressions trop violentes et trop longues après lesquelles le cœur n’a plus la force de se détendre ; le pli est pris : ce fut toute l’histoire de Corbière. Il a vingt-sept ans au moment où nous voici (1872) ; sa disgrâce personnelle et la solitude ont encore développé et presque poussé au paroxysme les instincts anarchiques qui sommeillaient en lui comme au fond de tous les Celtes[1] ; la révolte est devenue son état normal ; la raillerie et la pose lui ont fait une seconde nature ; il en est arrivé au point de cultiver sa laideur comme une originalité. Quelle forme prendra l’amour chez ce malade ? On le devine assez et qu’incapable d’aimer simplement, il cherchera — et trouvera — toutes les raisons de se déchirer et de déchirer celle qu’il aime ; il lui supposera des calculs d’intérêt, de la compas-

  1. Voir à ce sujet, au tome II de l’Âme bretonne, le chapitre sur La Résignation bretonne et spécialement les dernières lignes sur « la fonction véritable » du Celte.