Page:Le Goffic - L'Âme bretonne série 4, 1924.djvu/264

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à l’aise qu’au cœur des forêts. Et c’est François Paradis qui l’emporte d’abord. De passage à Péribonka, où les Chapdelaine lui ont offert l’hospitalité de la nuit, il se rend avec eux à la cueillette des « bleuets » (myrtilles dont on fait des confitures) et, le hasard ou son astuce d’amoureux lui ayant ménagé un tête-à-tête avec Maria, il lui explique doucement :

— Je vais descendre à Grand’mère la semaine prochaine pour travailler sur l’écluse à bois… Mais je ne prendrai pas un coup, Maria, pas un seul !

Il hésita un peu et demanda abruptement, les yeux à terre :

— Peut-être… vous a-t-on dit quelque chose contre moi ?

— Non.

— C’est vrai que j’avais coutume de prendre un cou pas mal, quand je revenais des chantiers et de la drave ; mais c’est fini. Voyez-vous, quand un garçon a passé six mois dans le bois à travailler fort et à avoir de la misère et jamais de plaisir, et qu’il arrive à la Tuque ou à Jonquières avec toute la paye de l’hiver dans sa poche, c’est quasiment toujours que la tête lui tourne un peu : il fait de la dépense et il se met chaud, des fois… Mais c’est fini. Et c’est vrai que je sacrais un peu. À vivre tout le temps avec des hommes « rough » dans le bois ou sur les rivières, ou s’accoutume à ça. Il y a eu un temps où je sacrais pas mal, et M. le curé Tremblay m’a disputé une fois parce que j’avais dit devant lui que je n’avais pas peur du diable. Mais c’est fini, Maria. Je vais travailler tout l’été à deux piastres et demie par jour et je mettrai de l’argent de côté, certain. Et, à l’automne, je suis sûr de trouver une « jobe » comme foreman dans un chantier, avec de grosses gages. Au printemps prochain, j’aurais plus de cinq cents piastres de sauvées, claires, et je reviendrai.

Il hésita encore, et la question qu’il allait poser changea sur ses lèvres.

— Vous serez encore icitte… au printemps prochain ?

— Oui.

Et, après cette simple question et sa plus simple réponse, ils se turent et restèrent longtemps ainsi, muets et solennels, parce qu’ils avaient échangé leurs serments.