Page:Le Goffic - L'Âme bretonne série 4, 1924.djvu/406

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mordre dans notre baie… Un cirque de lave. On aurait dit, sur toutes ces plages, que des lèvres se soulevaient et montraient les dents à l’Infini. »

L’Infini… ne vous hâtez pas de triompher. L’Infini (relisez la phrase), c’est ici le ciel, comme chez Pascal, non la mer. Et, après tout, c’est logique : cette Marie Lenéru, Bretonne de hasard, née par aventure à Brest, coupée brusquement du monde auditif à quinze ans, menacée par surcroît de cécité, elle vit repliée sur elle-même ; elle est plus près de Pascal que de Chateaubriand…

On aime à suivre, dans l’excellent choix d’extraits que nous présente M. Bertuccioli, familier de longue date avec notre littérature, ces fluctuations de la pensée française à l’endroit de la mer et les interprétations diverses qu’elle en a données depuis Buffon. Si l’auteur n’est pas remonté plus haut que cet écrivain, c’est qu’apparemment il ne l’a pas pu[1]. La mer, encore une fois, ne tient presqu’aucune place dans l’œuvre de nos grands classiques : Buffon lui-même n’a vu la mer qu’en cosmographe. Et rien ne marque mieux que cette constatation l’antagonisme des deux formules classique et romantique : l’une qui isole l’homme de la nature et l’autre qui l’y absorbe, ce qui n’est peut-être pas beaucoup plus raisonnable, mais qui présente de grands avantages pour la composition d’un recueil comme celui-ci. Quelque monotonie cependant et un peu de fati-

  1. Il y avait bien à la rigueur les romans de Gomberville (nos premiers romans maritimes), la merveilleuse et désopilante scène de la tempête dans le Pantagruel de Rabelais et de brefs passages de Villehardouin et de Joinville dans l’Histoire de la conquête de Constantinople et dans les Mémoires, mais c’est l’homme plus que la mer qu’évoquent ces auteurs et le titre même du chapitre de Rabelais est : « Quelle contenance eurent Panurge et frère Jean durant la tempeste. »