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LA VIE DE S. GUENNOLÉ.

entre le Sud & l’Ouest, où, ayant frappé du bout de sa Crosse, réjaillit une vive source, laquelle fournit abondamment tout le Monastere, & s’appelle encore à présent Feiwteun Sanl Guennolé.

XI. Estant une fois dans la ferveur de ses contemplations & extases, il désira faire un voyage en Irlande, pour voir ce grand S. Patrice, Apostre d’Hybernie, & apprendre de luy le chemin de la vraye perfection mais Dieu le délivra de ce voyage si long & pénible car, la nuit suivante après Matines, les Religieux s’estans retirez au Dortoir, luy persistant en oraison devant le S. Sacrement (à son accoustumée), S. Patrice luy apparut, entouré d’une replandissante clarté, ayant une Mittre d’Or en teste, qui luy dit Guennolé, serviteur de Dieu, je suis Patrice, lequel tu désires si ardamment voir ; mais, pour ne priver tes Religieux de ta présence à eux tant profitable, et ne l’obliger à un voyage si long et si pénible, Dieu m’a envoyé vers toy. Le reste de la matinée jusques il l’heure de Prime, S. Guennolé jouit de l’entretien familier de S. Patrice ; lequel, luy ayant donné plusieurs bons avis touchant la direction de son Monastère, disparut. Une fois, allant aux champs, il fit rencontre en son chemin d’une troupe de pauvres qui alloient quester l’aumosne le S. Abbé se mit à les prescher & exhorter à la patience & conformité à la volonté de Dieu un mauvais garnement, passant par là, commença à se mocquer du Saint, luy disant qu’ils aymeroient bien mieux son argent que ses Sermons lors le Saint, levant les yeux vers le Ciel, choisit un aveugle de cette troupe, &, luy ayant imprimé le signe de la Croix sur les yeux, luy dist Je n’ay ny or ny argent, mais je pne Nostre Seigneur Jésus-Christ qui illumina l’aveugle né, qu’il te rende la veuë &, tout incontinent, l’aveugle fut guery.

XII. Il alloit souvent voir le Roy Grallon en la superbe Cité d’Is, & preschoit fort hautement contre les abominations qui se commettoient en cette grande Ville, toute absorbée en luxes, débauches & vanitez, mais demeurans obstinez en leurs peschez. Dieu revela à S. Guennolé la juste punition qu’il en vouloit faire. Saint Guennolé estant allé voir le Roy, comme il avoit de coutume, discoursns ensemble, Dieu luy revela l’heure du chastiment exemplaire des Habitans de cette Ville estre venuë. Le Saint, retournant comme d’un ravissement & extase, dit au Roy Ha Sire, Sire sortons ail plustost de ce lieu ; car l’ire de Dieu le va présentement accabler ; Vostre Majesté sçait les dissolutions de ce peuple ; on a en beau le prescher, la mesure est comble ; faut qu’il soitpuny ; hastons-nous de sortir, autrement nous serons accueillis et envelopez en ce mesme malheur (1). Le Roy fit incontinent trousser bagage &, ayant fait mettre hors ce qu’il avoit de plus cher, monte à cheval, avec ses Officiers & domestiques, &, à pointe d’épron, se sauve hors la ville. À peine eust-il sorti les portes, qu’un orage violent s’éleva avec des vents si impetueux, que la Mer, se jetant hors de ses limites ordinaires, & se precipitant de furie sur cette miserable Cité, la couvrit, en moins de rien, noyans plusieurs milliers de personnes, dont on attribua la cause principale à la Princesse Dahut, fille impudique du bon Roy, laquelle périt en cet abysme, & cuida causer la perte du Roy en un endroit qui retient le nom de Toul-Dahut (2), ou Toul-Alc’hnez, c’est à dire, le pertuis Dahut ou le pertuis de la Clef, pour ce que l’histoire assure qu’elle avoit pris à son Pere la Clef qu’il portoit pendante au col, comme symbolle de la Royauté. Le Roy, s’estant sauvé d’heure, alla loger à Land-Tevenec, avec S. Guennolé, lequel il remercia de cette délivrance, puis se retira à Kemper.

XIII. Le bon Roy Grallon, déjà cassé de vieillesse & riche de mérites, passa paisiblement de cette vie à une meilleure, l’an 405. Saint Guennolé l’assista en sa maladie mor(1) Voyez chose semblable en la Vie de S. Martin de Vertou le 24 octobre. A.

(2) C’est ce qu’on dit, Pouldavid. A.