Page:Le Grand Albert - La Vie des Saints.djvu/182

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à frais quelconques pour l’avancement de son Fils, lequel aussi, de son costé, étudioit diligemment & faisoit, un grand progrès non moins à la vertu qu’à l’etude des bonnes lettres.

III. Un jour, l’Enfant Patern discourant familièrement avec sa Mere, luy demanda où estoit son Pere, s’il estoit mort on vivant, veu que jamais il ne l’avoit veu ; la bonne Dame ne se pût tenir de pleurer & luy dist que son Pere, desireux de servir Dieu en état de perfection, avoit quitté son païs, & en dessein de se rendre Religieux, passé la Mer &, (à ce qu’elle avoit sceu), estoit en Hybernie, renfermé dans un Monastere. Le S. Enfant répondit lors : «  Et quoy ? quelle meilleure condition pourrois-je choisir que celle dont mon Pere a fait élection ? Certes (ma Mere) je seray aussi Religieux, ou mourray en la peine. » Sa mere, entendant ces paroles, en remercia Dieu & l’encouragea d’exécuter son saint dessein. Dés lors, il conceut un saint mépris du monde & un ardent desir de servir Dieu en quelque Monastere ; lequel croissant de jour à autre, il prit la benediction de sa Mere & alla trouver l’Abbé Generosus, qui gouvernoit un grand nombre de Religieux dans le Monastere de saint Gildas de Rhuys, auquel il demanda humblement l’Habit, & le receut à son grand contentement & consolation de son Ame.

IV. Dés qu’il eut achevé le temps de sa Probation, son Abbé luy donna la charge de la dépense, laquelle fonction il exerça, l’espace de trois ans, avec grande satisfaction & contentement de tous les Religieux. Il s’adonnoit volontiers aux offices & fonctions exterieures du Monastere ; mais de telle sorte toutesfois, que le soin qu’il en prenoit n’esteignoit en luy l’esprit de l’Oraison ; il s’etudioit particuliérement à la mortification de ses sens externes, nommément des yeux, lesquels (selon le dire du Prophete) sont les portes par lesquelles la mort entre dans l’Ame, & tenoit tellement ses yeux en commandement, qu’on dit de luy que, depuis qu’il fut vétu Religieux, jamais il ne regarda homme en face, moins encore femme. Il mattoit continuellement sa chair à force de rudes & fortes austeritez ; il ne mangeoit que du pain tout sec, beuvoit de l’eau & encore bien mediocrement ; &, quand il vouloit faire plus grande chere, il adjoustoit quelques legumes & du sel. Au lieu de chemise, il endossait un Cilice aspre & rude ; jamais ne changeoit d’habit, ny ne quittoit sa pauvre robbe, froc & cuculle de nuit ny de jour ; on ne le voyoit plus vétu en Hyver, ny moins en Esté que de coustume ; son lict estoit le pavé nud, ou bien quelques fagots ; par telles austeritez il attenua tellement son corps, qu’on ne luy voyoit que la peau & les os.

V. En ce temps-là, florissoient en la Bretagne Armorique un grand nombre de saints Personnages, qui, ayant dit adieu au monde, vivoient és Cloistres & Monasteres, y menans une vie plus Angelique & divine qu’humaine ; desquels on fist passer grand nombre en la Grande Bretagne pour y fonder des Monasteres, sous la conduite des Abbez Cuvilan, Coatman & Tetecho ; lesquels, connoissans la vertu, sainteté, erudition & suffisance de S. Patern, le demanderent aussi ; ils le firent Abbé & luy donnerent cent tant de Moynes, avec lesquels il passa la Mer, Prescha des Insulaires, qui, dans peu de temps, luy édifierent un Monastere sur le bord de la Mer, l’ornerent, arrenterent & accommoderent de tout ce qui estoit requis, tant pour le service de Dieu, que pour la commodité des Religieux. S. Patern, voyant que sa Mission avoit si-bien réüssi, en rendit graces à Dieu ; &, ayant mis bon ordre à tout, institua un Superieur pour gouverner son Monastere en son absence ; puis, ayant pris congé de ses Religieux, Passa la mer & alla en Hybernie.

VI. Où estant arrivé il alla voir son pere, lequel en fut extrémement aise & le retint, quelques mois, en son Monastere. Il y avoit lors deux Roys en Hybernie, lesquels se faisoient une cruelle guerre, au grand dommage & incommodité du pauvre peuple. Une nuit, un Ange leur apparut à tous deux separément & leur commanda d’envoyer