Page:Le Grand Meaulnes.djvu/164

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persuadai d’attendre que nous eussions revu notre ami, que le temps fût sérieusement au beau… que tous les pruniers de Sainte-Agathe fussent en fleur. Appuyés contre le mur bas de la petite ruelle, les mains aux poches et nu-tête, nous parlions et le vent tantôt nous faisait frissonner de froid, tantôt, par bouffées de tiédeur, réveillait en nous je ne sais quel vieil enthousiasme profond. Ah ! frère, compagnon, voyageur, comme nous étions persuadés, tous deux, que le bonheur était proche, et qu’il allait suffire de se mettre en chemin pour l’atteindre !…

À midi et demi, pendant le déjeuner, nous entendîmes un roulement de tambour sur la place des Quatre-Routes. En un clin d’œil, nous étions sur le seuil de la petite grille, nos serviettes à la main… C’était Ganache qui annonçait pour le soir, à huit heures, « vu le beau temps », une grande représentation sur la place de l’église. À tout hasard, « pour se prémunir contre la pluie », une tente serait dressée. Suivait un long programme des attractions, que le vent emporta, mais où nous pûmes distinguer vaguement « pantomimes… chansons… fantaisies équestres… », le tout scandé par de nouveaux roulements de tambour.

Pendant le dîner du soir, la grosse caisse, pour annoncer la séance, tonna sous nos fenêtres et fit trembler les vitres. Bientôt après, passèrent, avec un bourdonnement de conversations, les gens des faubourgs, par petits groupes, qui