Page:Le Grand Meaulnes.djvu/175

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Un petit vent qui nous parut glacé soufflait. Il me semblait qu’à chaque pas nous allions buter sur le sol caillouteux et dur de la place et que nous allions tomber. Meaulnes, affolé, fit deux fois le mouvement de s’élancer, d’abord sur la route du Vieux-Nançay, puis sur la route de Saint-Loup des Bois. Il mit sa main au-dessus de ses yeux, espérant un instant que nos gens venaient seulement de partir. Mais que faire ? Dix traces de voitures s’embrouillaient sur la place, puis s’effaçaient sur la route dure. Il fallut rester là, inertes.

Et tandis que nous revenions, à travers le village où la matinée du jeudi commençait, quatre gendarmes à cheval, avertis par Delouche la veille au soir, débouchèrent au galop sur la place et s’éparpillèrent à travers les rues pour garder toutes les issues, comme des dragons qui font la reconnaissance d’un village… Mais il était trop tard. Ganache, le voleur de poulets, avait fui avec son compagnon. Les gendarmes ne retrouvèrent personne, ni lui, ni ceux-là qui chargeaient dans des voitures les chapons qu’il étranglait. Prévenu à temps par le mot imprudent de Jasmin, Frantz avait dû comprendre soudain de quel métier son compagnon et lui vivaient, quand la caisse de la roulotte était vide ; plein de honte et de fureur, il avait arrêté aussitôt un itinéraire et décidé de prendre du champ avant l’arrivée des gendarmes. Mais, ne craignant plus désormais qu’on tentât de le ramener au domaine