nants, dans le potager, dans la seule ferme qui reste des anciennes dépendances, silence et solitude. Les métayers sont partis au bourg pour fêter le bonheur de leurs maîtres.
De temps à autre, le vent chargé d’une buée qui est presque de la pluie nous mouille la figure et nous apporte la parole perdue d’un piano. Là-bas, dans la maison fermée, quelqu’un joue. Je m’arrête un instant pour écouter en silence. C’est d’abord comme une voix tremblante qui, de très loin, ose à peine chanter sa joie… C’est comme le rire d’une petite fille qui, dans sa chambre, a été chercher tous ses jouets et les répand devant son ami. Je pense aussi à la joie craintive encore d’une femme qui a été mettre une belle robe et qui vient la montrer et ne sait pas si elle plaira… Cet air que je ne connais pas, c’est aussi une prière, une supplication au bonheur de ne pas être trop cruel, un salut et comme un agenouillement devant le bonheur…
Je pense : « Ils sont heureux enfin. Meaulnes est là-bas près d’elle… »
Et savoir cela, en être sûr, suffit au contentement parfait du brave enfant que je suis.
À ce moment, tout absorbé, le visage mouillé par le vent de la plaine comme par l’embrun de la mer, je sens qu’on me touche l’épaule :
— Écoute ! dit Jasmin tout bas.
Je le regarde. Il me fait signe de ne pas bouger ; et, lui-même, la tête inclinée, le sourcil froncé, il écoute…