Page:Le Grand Meaulnes.djvu/294

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— Yvonne, dis-je tout bas, vous saviez bien que vous étiez ce bonheur-là, cette jeune fille-là.

— Ah ! soupira-t-elle. Comment ai-je pu un instant avoir cette pensée orgueilleuse. C’est cette pensée-là qui est cause de tout.

» Je vous disais : « Peut-être que je ne puis rien faire pour lui ». Et au fond de moi, je pensais : « Puisqu’il m’a tant cherchée et puisque je l’aime il faudra bien que je fasse son bonheur ». Mais quand je l’ai vu près de moi, avec toute sa fièvre, son inquiétude, son remords mystérieux, j’ai compris que je n’étais qu’une pauvre femme comme les autres…

» — Je ne suis pas digne de vous, répétait-il, quand ce fut le petit jour et la fin de la nuit de nos noces.

» Et j’essayais de le consoler, de le rassurer. Rien ne calmait son angoisse. Alors j’ai dit :

» — S’il faut que vous partiez, si je suis venue vers vous au moment où rien ne pouvait vous rendre heureux, s’il faut que vous m’abandonniez un temps pour ensuite revenir apaisé près de moi, c’est moi qui vous demande de partir…

Dans l’ombre je vis qu’elle avait levé les yeux sur moi. C’était comme une confession qu’elle m’avait faite, et elle attendait, anxieusement, que je l’approuve ou la condamne. Mais que pouvais-je dire ? Certes, au fond de moi, je revoyais le grand Meaulnes de jadis, gauche et sauvage, qui se faisait toujours punir plutôt que