Page:Le Grand Meaulnes.djvu/82

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du froid que par crainte d’être aperçu du dehors. Il alla soulever le rideau du fond et découvrit un grand lit bas, couvert de vieux livres dorés, de luths aux cordes cassées et de candélabres jetés pêle-mêle. Il repoussa toutes ces choses dans le fond de l’alcôve, puis s’étendit sur cette couche pour s’y reposer et réfléchir un peu à l’étrange aventure dans laquelle il s’était jeté.

Un silence profond régnait sur ce domaine. Par instants seulement on entendait gémir le grand vent de décembre.

Et Meaulnes, étendu, en venait à se demander si, malgré ces étranges rencontres, malgré la voix des enfants dans l’allée, malgré les voitures entassées, ce n’était pas là simplement, comme il l’avait pensé d’abord, une vieille bâtisse abandonnée dans la solitude de l’hiver.

Il lui sembla bientôt que le vent lui portait le son d’une musique perdue. C’était comme un souvenir plein de charme et de regret. Il se rappela le temps où sa mère, jeune encore, se mettait au piano l’après-midi dans le salon, et lui, sans rien dire, derrière la porte qui donnait sur le jardin, il l’écoutait jusqu’à la nuit…

— On dirait que quelqu’un joue du piano quelque part ? pensa-t-il.

Mais laissant sa question sans réponse, harassé de fatigue, il ne tarda pas à s’endormir…