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LE MÉNESTREL

MM. Ricquier. Mmes
MM. Grignon.
MM. Haussard.
MM. Duchenet.
MM. Victor.
MM. Palianti.

Cette troupe remarquable allait s’augmenter, dans le courant de l’année, de trois jeunes femmes charmantes sortant du Conservatoire, Mlle Descot, qui débuta au mois d’août, Mlle Henry le 30 octobre, et Mlle Révilly le 10 décembre. Si les deux premières n’ont guère laissé de traces de leur passage, la dernière a fourni à l’Opéra-Comique une des carrières non seulement les plus distinguées, mais les plus longues qu’on y puisse enregistrer, car cette carrière ne s’est pas prolongée pendant moins de trente-cinq ans[1].

Avec un personnel aussi brillant que celui que je viens de rappeler, avec un orchestre excellent dirigé par un chef tel que Girard, que secondaient Henri Potier comme chez du chant et Génot comme chef des chœurs, avec les nouvelles œuvres qu’il tenait en réserve et qui étaient signées des noms d’Auber, Halévy, Adolphe Adams, Ambroise Thomas, Grisar, Clapisson, l’Opéra-Comique, définitivement reconstitué, logé somptueusement et enfin dans ses meubles, pouvait affronter résolument l’avenir et l’envisager sans crainte. Cet avenir promettait d’être brillant, et il le fut presque constamment jusqu’au jour où un nouveau désastre, plus terrible et plus cruellement dramatique que le premier, vint une seconde fois détruire cette pauvre salle Favart que nous avons tant de peine, après tantôt dix années, à voir relever de nouveau.

J’ai voulu, dans ces pages, retracer tout à la fois et le second chapitre de son existence pendant tout le temps que l’Opéra-Comique s’en est trouvé éloigné par les circonstances, et l’histoire même de l’Opéra-Comique durant cette période si troublée, si difficile, parfois si douloureuse de sa longue carrière. À défaut d’autre mérite, je crois que ce double récit est aussi exact et aussi complet qu’il était possible de le faire.

fin
Arthur Pougin.

SEMAINE THÉÂTRALE


AUTOUR D’UNE TRADUCTION

M. Louis Pilate de Brinn’Gaubast (Ajax) continue son œuvre d’éclaircissement ou peut-être mieux d’assainissement des poèmes de Richard Wagner. Comme il avait fait pour les quatre poèmes de la Tétralogie, il vient de consacrer son temps et ses veilles à démêler à son tour celui des Maîtres Chanteurs. Ils nous en donne une traduction nouvelle (un vol. in-8o chez Dentu), sorte de traduction libre où il rogne et ajoute tout à son aise pour la meilleure compréhension de l’idée. Ceci s’éloigne terriblement du mot à mot farouche de M. Alfred Ernst et cela n’en a que plus de grâces et d’élégance.

Hâtons-nous d’ajouter que cette traduction émolliente n’a nullement la prétention de s’adapter sous la musique. Vous me demanderez alors à quoi elle peut bien servir. Mais simplement, je vous l’ai dit, à éclaircir certaines obscurité du texte, à en faire disparaître les rugosités et à présenter le tout sous des dehors aimables et non rébarbatifs. C’est à la fois une œuvre pie et une œuvre d’humanité, destinée à amadouer les novices et à les mener peu à peu, par des sentiers fleuris, au chemin plus rude et plus abrupt de la vraie parole. C’est du Wagner facilité à l’usage des petites gens, non encore initiés et préparés à tout.

Et il n’y a pas qu’une traduction dans le nouveau volume de M. Louis Pilate de Brinn’Gaubast. Comme vous devez bien vous imaginer, il s’y trouve encore nombre de commentaires pour expliquer cette traduction, qui bien qu’explicative par elle-même, ne le serait pas encore suffisamment, paraît-il, sans les notes innombrables qui l’accompagnent et qui prennent plus de place que le texte même. Ah ! ce n’est pas des œuvres de Wagner qu’on peut dire qu’elles se passent de commentaires ! C’est devenu une véritable carrière pour beaucoup que d’épiloguer sur chaque mot et sur chaque croche du maître allemand, vaste association où chacun vit du mieux qu’il peut des reliefs du grand homme et, pauvre grelottant, se réchauffe aux rayons de sa gloire.

Il faut lire ces notes curieuses du volume de M. Brinn’Gaubast pour savoir tout ce qu’on peut trouver d’états d’âme dans un simple éternuement du cordonnier Hans Sachs. Et, s’il vous donne le bonjour, il ne faudrait pas croire qu’il y a là seulement le bonjour de tout le monde. Oh ! non; c’est un bonjour qui a des ramifications profondes avec l’histoire des peuples, un bonjour philosophique plein de dessous et de mystères. Quelle rage de vouloir ainsi, en matière artistique, disséquer son propre plaisir et en rechercher les raisons algébriques par A + B, au lieu d’en jouir tout franchement sans ergoter, comme on prend le soleil qui nous vient du ciel ! Pour nous, nous nous refusons à croire que Wagner ait pensé à tant de billevesées en composant ses chefs-d’œuvre, et il faut qu’il soit un bien grand musicien pour résister au ridicule dont on essaie de le couvrir.

Nous disons un bien grand musicien, car après comme avant l’aimable traduction de M. Brinn’Gaubast il ne nous apparaît pas comme un bien grand poète, dans la stricte acception du moi. Et nous trouvons un peu osé de le vouloir mettre à côté de Shakespeare, – c’est dit quelque part. Admettons le livret des Maîtres Chanteurs, puisqu’il sert souvent de prétexte à d’admirable musique, mais cette histoire naïve de cordonnerie et de concours d’orphéons mélangés, encore qu’elle ne soit pas autrement désagréable, n’a rien qui puisse nous transporter et il nous est impossible d’y voir le dernier mot de l’art dramatique.

N’oublions pas qu’il y a aussi, à côté du commentaire littéraire, un autre commentaire musical de M. Edmond Barthélemy, qui suit pas à pas la nouvelle traduction et nous guide à travers les motifs conducteurs de la partition, au fur et à mesure qu’ils se présentent. C’est ainsi que les thèmes de la « Sagesse humaine » de « l’Entrain au travail », du « Souvenir de la jeunesse », de « l’Impétuosité juvénile », de « l’Interrogation d’amour », du « Don de soi-même », etc., etc., n’ont plus de secret pour nous. C’est donc, au résumé, un livre qui a son utilité que celui de M. Louis Pilate de Brinn’Gaubast, et c’est comme tel que nous avons cru devoir le recommander au fidèle lecteur.

H. M.

MUSIQUE ET PRISON


PRISONS RÉVOLUTIONNAIRES

ii

(Suite)

Ce qui rendait ces exécutions non moins illogiques que barbares c’était qu’une partie des victimes, marquées pour la guillotine, se composait de républicains sincères, de citoyens désintéressés, de patriotes honnêtes et convaincus. L’adversité n’avait pas ébranlé leur foi dans l’avenir du pays, ni diminué leur amour pour la France. Et ils ne laissaient échapper aucune occasion d’affirmer l’une et l’autre.

Le jour où tous les instruments de musique furent retirés aux hôtes de la Conciergerie, ceux-ci chantèrent soir et matin, en chœur, des hymnes patriotiques : ils appelaient cet hommage à la nation « la prière ».

  1. Mlle Clarisse Henry, dont on vient de lire le nom, était une chanteuse fort aimable, et, comme femme, douée d’une rare beauté. Son histoire est touchante. Devenue peu de temps après ses débuts l’épouse de son camarade Sainte-Foy, l’excellent trial, elle quitta presque aussitôt la scène, mais prit l’habitude d’accompagner son mari chaque soir au théâtre, pour l’aider à s’habiller. Un jour, sous un prétexte quelconque, celui-ci lui dit : « Tu ne viendras pas ce soir avec mois », et jamais il ne remit les pieds chez lui. Dès le lendemain il était en ménage avec une autre de ses camarades, Mlle T… Point de bruit, point de scandale, aucune réclamation de la part de la pauvre jeune femme abandonnée, qui d’ailleurs espérait toujours le retour de l’infidèle. Plus tard un notaire intervint et obtint à l’amiable, de Sainte-Foy, qu’il ferait à sa femme une pension, laquelle ne fut jamais payée. Mme Sainte-Foy, restée seule ainsi, vécut alors avec sa sœur, Mlle Laure Henry, chanteuse tout comme elle. Toutes deux donnaient des leçons, toutes deux entrèrent dans les chœurs de la Société des concerts, menant une existence aussi modeste que tranquille. L’une et l’autre se retirèrent de la Société des concerts en 1870, et avec le reliquat qui leur en revenait, elles achetèrent à Barbizon une maisonnette où elles s’installèrent définitivement et où, – fait touchant – Mme Sainte-Foy aménagea une chambre destinée à son mari, en disant que s’il revenait jamais il serait toujours le bien reçu et accueilli à bras ouverts. Lui, pendant ce temps, partait, toujours avec Mlle T… (qu’il faisait passer pour sa femme et qui portait son nom) pour la Russie, où il n’obtint point de succès et d’où il revint s’échouer aux Folies-Dramatiques, où il ne fut pas plus heureux. On sait qu’il mourut à Neuilly le 1er avril 1877. Quant à sa femme, qui excusa toujours sa conduite envers elle en la mettant sur le compte d’une étonnante faiblesse de caractère, elle est morte à Barbizon au mois de janvier 1896.