jour, et que le soir rend d’autant plus lugubres, d’autant plus désolées. La lueur d’un réverbère ne se montrait plus que bien rarement : sans doute faisait-on des économies d’huile. Seule la neige scintillait sur la chaussée où ne se montrait âme qui vive, et le long de laquelle les masures assoupies sous leurs volets clos faisaient de sinistres taches noires. Enfin apparut un vaste espace vide, moins semblable à une place qu’à un horrible désert. Les bâtisses qui en marquaient la fin se devinaient à peine, et, perdue dans cette immensité, la lanterne d’une guérite avait l’air de brûler là-bas, très loin, au bout du monde. Arrivé à cet endroit, Akaki Akakiévitch sentit son aplomb l’abandonner ; il eut le pressentiment d’un malheur et s’engagea sur la place avec une circonspection voisine de la crainte. Il jeta un regard en arrière, un regard à droite, un regard à gauche, et se crut égaré dans une mer de ténèbres. « Non, décidément, se dit-il, mieux vaut ne pas regarder. » Il avança donc les yeux fermés, et, quand il les rouvrit pour reconnaître si la traversée périlleuse allait bientôt prendre fin, il se trouva soudain presque nez à nez avec deux ou trois individus moustachus. Qu’étaient au juste ces gens ? Il n’eut pas le loisir de s’en rendre compte, car sa vue se troubla et son cœur se mit à battre à coups précipités.
— Hé, mais, ce manteau est à moi ! » s’écria d’une voix tonnante l’un des personnages.
Et il saisit au collet Akaki Akakiévitch qui déjà ouvrait la bouche pour appeler au secours. Aussitôt, l’autre escogriffe lui brandit sous le nez un poing gros comme la tête d’un fonctionnaire en disant :
— Renfonce ça, ou gare !
Akaki Akakiévitch plus mort que vif sentit seulement qu’on le dépouillait de son manteau. Un coup de genou dans le bas des reins l’envoya bouler dans la neige, où il finit de perdre ses esprits. Quand il les eut enfin recouvrés, il se releva et s’aperçut qu’il n’y avait plus personne autour de lui. Une vive