Page:Le Monde slave, revue mensuelle, 1938-04.djvu/403

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Cet événement lui fit une impression si forte qu’il renonça désormais aux fameuses expressions : « Où prenez-vous cette arrogance ? Comprenez-vous devant qui vous êtes ? » Du moins ne les proférait-il plus avant d’avoir compris de quoi il retournait.

Chose encore plus remarquable, à partir de cette nuit-là les apparitions de l’employé-fantôme cessèrent complètement : la pelisse de Son Excellence avait sans doute comblé ses vœux. En tout cas, on n’entendit plus parler de manteaux volés. Toutefois, les esprits défiants ne se tranquillisèrent pas pour autant ; ils prétendirent même que le revenant se montrait encore dans certains quartiers éloignés. De fait, dans celui de Kolomna, un factionnaire le vit de ses propres yeux apparaître à un coin de rue. Par malheur, cet homme était de constitution débile ; une fois même un petit cochon de lait l’avait, en s’échappant d’une cour, bel et bien renversé, aux grands éclats de rire de quelques cochers de fiacre, qu’il punit ensuite de cette insolence en les rançonnant chacun d’un liard pour s’acheter du tabac. En raison donc de sa constitution débile, le garde n’osa point arrêter le fantôme ; il se contenta de le suivre dans l’obscurité. Bientôt le spectre s’arrêta et fit une brusque volte-face.

— Que veux-tu ? » demanda-t-il en lui montrant un poing dont on eût difficilement trouvé le pareil même chez les vivants.

— Rien du tout ! répondit le garde, qui s’empressa de faire demi-tour.

Le fantôme était cette fois de taille beaucoup plus haute et pourvu d’énormes moustaches. Il paraissait vouloir gagner le pont Oboukhov et disparut bientôt complètement dans les ténèbres nocturnes…


Nicolas gogol
(Traduit par Henri Mongault.)