Page:Le Monument de Marceline Desbordes-Valmore, 1896.pdf/37

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Discours de M. Catulle Mendès



Madame,


Il n’est pas de poète à qui ne plaise la gloire. Quoi qu’on ait dit, et, encore que votre âme, quand elle avait une forme parmi les apparences, ait été jalouse de demeurer lointaine et mystérieuse en le crépusculaire exil de ses douleurs, je pense qu’elle ne s’offense pas de nos admirations, et qu’au contraire, invisiblement proche, elle s’en réjouit et remercie ceux qui lui offrent cette fête, en ce beau jour d’enthousiasme et de soleil.

Mais, mesdames et messieurs, si le magnifique tumulte de renommées universelles n’acclamait pas Marceline Desbordes-Valmore, si la foule qui, grâce à vous, sait son nom, l’ignora longtemps, jamais, comme l’a très bien dit Robert de Montesquiou, jamais elle ne fut oubliée des poètes ; elle vivait en leurs cœurs délicatement vénérée et passionnément chérie. Mes maîtres m’enseignèrent son culte ! et, comme il convient à mon âge, je viens joindre aux louanges de l’heure présente, l’hommage du passé.

Voici, Madame, une page de Charles Baudelaire, belle entre toutes celles qui furent écrites pour vous.


Si le cri, si le soupir naturel d’une âme d’élite, si l’ambition désespérée du cœur, si les facultés soudaines, irréfléchies, si tout ce qui est gratuit et vient de Dieu, suffisent à faire le grand poëte, Marceline Valmore est et sera toujours un grand poëte. Il est vrai que si vous prenez le temps de remarquer tout ce qui lui manque de ce qui peut s’acquérir par le travail, sa grandeur se trouvera singulièrement diminuée ; mais au moment même où vous vous sentirez le plus impatienté et désolé par la négligence, par le cahot, par le trouble, que vous prenez, vous, homme réfléchi et toujours responsable, pour un parti pris de paresse, une beauté soudaine, inattendue, non égalable, se dresse, et vous voilà