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Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/118

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— La cuisine... ça me regarde, cria-t-il.

— Le coq qui devient louf à présent, firent plusieurs voix.

Il vociféra :

— Perdre la tête, moi ! Je suis plus prêt à sauver mon âme que pas un de vous, officiers compris, là ! Tant qu’on est à flot, je ne lâche pas mes fourneaux ! je vais vous faire du café.

— Coq, tu es chic, pleura Belfast.

Mais le cuisinier escaladait déjà l’échelle. Il fit halte un moment pour crier vers la dunette : « Tant qu’on est à flot, je ne lâche pas mes fourneaux ! » puis disparut comme par-dessus bord. Les hommes qui avaient entendu le suivirent d’un hourra. Cela sonna comme un vagissement d’enfants malades. Une heure après, peut-être davantage, quelqu’un prononça distinctement :

— Il est parti pour de bon.

— Probable, déclara le maître d’équipage, même par beau temps, il était aussi adroit de ses pieds sur le pont qu’une génisse à son premier voyage. Faudrait aller voir.

Personne ne bougea. Au cours des heures lentes qui se traînaient à travers l’ombre, M. Baker rampa plusieurs fois d’un bout de la dunette à l’autre. Quelques-uns crurent l’entendre échanger à voix basse des paroles avec le patron, mais à ce moment les souvenirs avaient pris une importance et un relief incomparablement supérieurs à rien d’actuel, et ces murmures, nul n’était certain de les avoir entendus alors ou nombre d’années auparavant. Ils ne tentèrent pas d’approfondir. Qu’importait un mot chuchoté de plus ou de moins ! Il faisait trop froid pour se mettre en frais de curiosité et presque d’espérance. Il leur semblait impossible de voler un moment ou une pensée