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Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/122

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comme un brusque coup de fouet. Puis immobiles où ils gisaient, quelques-uns par force d’habitude le répétèrent en murmures à peine discernables. Le capitaine Allistoun abaissa les yeux sur son équipage et plusieurs, à doigts tâtonnants, avec des gestes gauches, tentèrent de se libérer des liens qui les maintenaient. Il répéta d’un ton impatient :

— Pare à virer, vent arrière. Allons, M. Baker, faites grouiller les hommes. Qu’est-ce qu’ils ont ?

— Pare à virer. Entends-tu, vous autres ?

— Pare à virer ! tonna soudain le maître d’équipage. Sa voix sembla rompre un charme mortel. Les matelots commencèrent à remuer, à ramper.

— Je veux qu’on hisse le petit foc et vivement, dit le patron très haut, si vous ne pouvez pas le faire debout, faites-le couchés, voilà tout. Débrouillez-vous !

— Allons-y, donnons au vieux rafiot une chance de s’en tirer, appuya le maître.

— Oui ! oui ! Virez ! chevrotèrent quelques voix.

Les gabiers de beaupré, à contrecœur, se préparèrent à marcher. M. Baker, à quatre pattes et grognant, montra la route et ils suivirent par-dessus le fronteau. Les autres restèrent sans mouvement, avec au cœur l’espoir vil de n’avoir point à changer de place jusqu’à ce qu’ils fussent sauvés ou noyés en paix.

Après quelque temps, on put les voir à l’avant apparaître sur la pointe du gaillard, un à un, en postures périlleuses ; pendus à la lisse, grimpant par-dessus les ancres, embrassant la tête du guindeau ou les bras noués au cabestan. Sans arrêt, avec d’étranges contorsions, ils agitaient les bras, s’agenouillaient, se couchaient à plat, puis se relevaient chancelants, comme s’ils s’appliquaient de toutes leurs forces à se jeter par-dessus bord. Soudain,