Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/134

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M. Baker, prêt à défaillir, trébuchait de-ci de-là, grognant et inflexible comme un homme de fer. Il commandait, encourageait, tançait :

— Allons, au grand hunier, à présent ! Mettez-vous sur ce cartahu. Ne restez pas là sans rien faire !

— Jamais de repos, alors ? grommelèrent des voix. Il pivota rageusement, le cœur amolli :

— Non ! pas de repos que la besogne soit faite. Travaillez jusqu’à tomber. Vous êtes ici pour ça.

Contre son coude, un marin, plié en deux, eut un rire bref :

— Marche ou crève, fit-il amèrement, du fond de sa gorge rauque.

Puis, crachant dans ses larges paumes, il éleva ses bras, et, empoignant le câble bien plus haut que sa tête, poussa un long cri plaintif et lugubre pour réclamer :

— Encore un coup tous ensemble.

Une lame prit de flanc le gaillard d’arrière et envoya tout le groupe à plat ventre du côté du vent. Des bonnets, des anspects flottèrent. Poings fermés, jambes ruantes, ici et là un visage dont les joues crachaient l’eau salée, crevèrent le blanc sifflement de l’onde écumeuse. M. Baker, culbuté avec le reste, cria :

— Ne lâchez pas cette corde ! Tiens bon !

Et, tous, meurtris du brutal assaut, ils tinrent bon comme ils auraient tenu au destin de leur vie. Le navire filait, roulant très fort, et les brisants couronnés haussaient, passés tribord et bâbord, l’éclair de leurs têtes blanches. On étancha les pompes. On établit les trois huniers et la misaine. Le Narcisse glissa plus vite sur les eaux, dépassant le galop emporté des vagues. Le tonnerre des lames distancées montait derrière lui, emplissait l’air des formidables vibrations de sa voix. Et, dévasté, meurtri, mutilé,