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Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/148

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mait-il de temps à autre en brandissant une main dure et décharnée comme l’ergot d’un oiseau d’eau.

Jimmy, sur le dos, souriait avec réserve et sans bouger un membre. Il affectait la langueur de l’extrême faiblesse comme pour bien nous manifester que notre retard à l’extirper d’une prison horrible, et cette nuit, ensuite passée sur la dunette parmi notre égoïste négligence, l’avaient achevé. Il y revenait volontiers, et le sujet, comme de juste, nous intéressait toujours. Il parlait spasmodiquement par élans intermittents coupés de longues pauses, comme marche un homme saoul.

— Le coq venait de me donner un bidon de café… Il me l’avait posé, comme ça, sur mon coffre, puis tapé la porte en sortant… Je sens un gros coup de roulis qui vient… Tâche de sauver mon café, me brûle les doigts… et tombe de mon lit… Le bateau a chaviré si vite… L’eau entre par le ventilateur… pas moyen de bouger la porte…, faisait noir comme sous terre… J’essaie de grimper dans la couchette au-dessus… Des rats… Un rat m’a mordu le doigt comme je montais… Je l’entendais nager au-dessous de moi… J’ai cru que vous ne viendriez jamais… Je pensais : ils sont tous à l’eau, naturellement… On n’entendait rien que le vent… Alors vous êtes arrivés… chercher le cadavre, faut croire… Un peu plus et…

— Dis donc, vieux, tu faisais un rare potin, là-dedans, observa Archie pensivement.

— Tiens ! avec le sacré vacarme que vous meniez en haut, vous autres… De quoi frapper n’importe qui… Je ne savais pas où vous vouliez en venir… Défoncer les sacrées planches…, ma tête… Tout juste ce qu’aurait fait une troupe d’imbéciles et de froussards… Pour ce que ça m’a rapporté !… Autant aurait valu… noyer… Peuh !

Il gémit, fit claquer ses larges dents blanches et regarda