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Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/152

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sourit au fourneau de sa pipe, discrètement amusé. Knowles, ahuri, ne sachant où donner de la tête, bégayait de droite et de gauche.

— Non ! Si on peut dire !… Vous pouvez pas être sensément sérieux… Toujours à chiner.

Il se retira pudique, marmottant et pas fâché. Ils riaient avec des huées dans la lumière crue, autour du lit de Jimmy, où, sur l’oreiller blanc, sa face noire et creuse bougeait sans trêve. Une risée du vent arriva, fit fuser la flamme de la lampe et dehors, très haut, les voiles battirent, tandis que, tout près, la poulie de misaine heurtait d’un choc sonore le pavois de fer.

Une voix lointaine cria : « La barre au vent ! » Une autre moins distincte répondit : « Au vent toute ! » Les hommes se turent, attendant la suite. Le matelot au poil gris tapa sa pipe sur le pas de la porte et se mit debout. Le navire s’inclina mollement et la mer comme éveillée se plaignit d’un murmure assoupi. « Un peu de vent qui se lève », dit quelqu’un tout bas. Jimmy se tourna lentement pour faire face à la brise. La voix dans la nuit, haute et impérieuse, commanda : « Bordez la brigantine. » Le groupe assemblé devant la porte disparut de la zone de lumière. On n’entendit plus que le bruit de leurs bottes s’éloignant vers l’arrière, tandis qu’ils reprenaient en intonations variées : Bordez la brigantine !… Bordez !…

Donkin resta seul avec Jimmy. Un silence régna. Jimmy ouvrit et referma les lèvres plusieurs fois comme pour avaler des gorgées d’air plus frais ; Donkin remuant les orteils de son pied nu les examinait d’un œil absorbé.

— Tu ne leur donnes pas un coup de main là-haut ? interrogea Jimmy.

— Non, s’ils ne sont pas fichus à six de border leur sacrée pourriture de brigantine, ils ne valent pas le pain