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le château

Mais le château n’était pas à elle et dans trois jours elle le quitterait.

Et la véritable châtelaine, que faisait-elle ? Elle venait de descendre à la ferme, elle y découvrirait probablement encore que le fermier n’avait pas soigné les poules, ou que les seaux à lait étaient mal lavés, ou que le jardin n’avait pas été assez arrosé. Et en haut, dans son beau château, il lui fallait conduire une domesticité difficile à accorder, à styler, et encore plus difficile à trouver. Il lui fallait se préoccuper de surveiller ses jeunes bonnes un peu étourdies qui ne respectaient pas la valeur de l’argenterie, des porcelaines, des cristaux. Il lui fallait veiller à la cueillette des fruits et des légumes et à la mise en conserve, et voir aux provisions, à l’administration de ce vaste domaine… Sans l’œil du maître, il fallait bien se rendre compte que rien ne marchait bien…

Être châtelaine comportait donc autant de devoirs qu’être une ordinaire mère de famille ; et même plus…

La joie des bois, la joie du château, Marielle seule, en somme, l’avait goûtée entièrement, et sans soucis, pendant ces jours qui s’achevaient. Et parce que cette joie ne lui était que prêtée… Dire qu’auparavant, elle avait envié Suzanne. Le bon Dieu lui donnait une belle leçon. Il ne fallait envier personne. Il fallait accepter son sort et le croire aussi bon que les autres. Avec son impétuosité, son besoin d’air, si le bon Dieu lui avait donné à elle, le grand château et la maladie de Suzanne, ne serait-elle pas encore plus malheureuse ?