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enthousiasme

Les yeux étaient grands, dans le visage étroit. Son nez retroussait un peu. Ses cheveux blonds, cendrés, flous, bouclaient au-dessus de son tendre front.

Elle trouvait toutes ses filles fort belles. Elle en parlait quand elles n’étaient pas là. Anne-Marie était sûrement aussi belle, et avec cette âme unique, qui rayonnait et tenait la petite lampe de ses yeux si scintillante.

Il avait fallu à cette enfant un grand courage : être, si jeune, à la tête d’une pareille maisonnée ! Que de soucis. Heureusement, il n’y eut pas celui de la pauvreté, mais Anne-Marie devait conduire, en plus de sa famille, une servante et des engagés, car ils habitaient une vaste ferme.

Elle tremblait de ne pas réussir. Il y avait tant de gens à accorder, tant de travaux à surveiller, à diriger. Et elle savait bien qu’il y en avait à faire, qui ne se faisaient pas.

Tout le jour, elle souriait pourtant. Elle embrassait l’un, grondait l’autre, pacifiait ceux qu’il fallait pacifier, encourageait ceux qu’il fallait encourager, raisonnait ceux qui menaçaient d’errer, calmait les turbulents, égayait les tristes, et se dépensait absolument sans compter ; mais le soir !…

Le soir, c’était son heure à elle ! Le drap par dessus la tête, elle pleurait d’épuisement et de peine ; elle pleurait d’angoisse ; elle avait tant peur de ne plus pouvoir continuer ; de tomber et de rester là, étendue, sans une autre miette de force. Sous son drap, dans ses larmes, elle criait : « maman maman, je n’en puis plus, faites que le bon Dieu m’aide encore ! »