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LA MAISON

blancs ou sombres, leur mâture, le perpétuel clapotis des douces vagues ; tout cela que nous aimions tant. Sur le velours rouge des fauteuils anciens, nous étions toujours beaucoup de jeunes filles en mousseline fraîche, rose, bleue, mauve, jaune. Chacune avait sa couleur. Chacune y restait fidèle car elle l’avait choisie pour un teint qu’il n’était pas encore de mode de refaire à son gré.

Nous étions silencieuses, une broderie ou un livre à la main, écoutant celle qui parmi nous était violoniste. À côté du beau piano où sa mère l’accompagnait, elle se tenait recueillie et lointaine, au-dessus de nous, emportée par cette musique qui la prenait tout entière. Elle n’avait pas d’autre amour. Elle n’en voulait point. Elle méprisait la réalité et tout ce qui fait ordinairement les délices de la jeunesse : réunions, amusements, mondanités, sports. Seule, la plus grande sonorité, la plus grande pureté des notes qu’elle pourrait tirer de son bel instrument, importait. Seul ce travail importait. Tout le jour nous l’avions entendu marteler du pied des exercices qu’elle étudiait. Le soir, c’était l’heure du concert, elle jouait alors pour son plaisir et pour le nôtre.

Et la musique berçait les rêves que nous cachions sous nos paupières baissées pour la méditation…