Page:Le Normand - La Montagne d'hiver, 1961.djvu/11

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
LA MONTAGNE D’HIVER

sa rancune au delà de la tombe. Mieux valait essayer de comprendre enfin, à travers ce silence que sa foi savait perméable.

Jean avait été le plus à plaindre. Il vivait chargé du fardeau de sa tristesse, de sa méfiance, de son pessimisme. Dès le début de leur vie commune, elle avait dû modérer l’expression de sa bonne humeur, quand le jour ensoleillé l’inclinait à la joie. Être heureuse si Jean souffrait, c’était impossible. Elle partagea ses rancœurs, même lorsqu’elle ne parvenait pas à les concevoir. Et un jour, l’insistance de Jean à être malheureux l’irrita. Elle se reprochait aujourd’hui d’avoir manqué d’amour, de patience, de s’être révoltée, aigrie, et réfugiée derrière un rempart d’orgueil et de dépit.

En elle-même, elle l’avait bientôt blâmé de n’être jamais content. Et, lorsqu’il l’eût plusieurs fois prise à partie, lorsqu’il l’eût injustement accusée de ses maux, elle se cabra. Elle aurait dû plutôt manifester le chagrin qu’il lui causait. Peut-être en aurait-il été touché et aurait-il reconnu ses torts ?

Se résigner à n’être pas vraiment heureuse en ménage, avait été pour Madeleine la plus rude des épreuves. Entre eux, il y avait une communauté de goûts qui aurait dû sauver leur sentiment. Si souvent, ils ressentaient ensemble des instants d’émotion profonde. À mesure, cependant, que s’accumulèrent les mauvais silences, ces instants devinrent plus rares, et à la fin, ils ne se renouvelèrent plus.

S’ils avaient eu des enfants, Madeleine en était convaincue, leur vie aurait été plus facile. Ses rancunes distraites par l’amour maternel se seraient plus aisément dissipées.

Dans leur solitude, sans témoin pour empêcher les mots regrettables d’être prononcés, ils avaient empiré leur mal. De plus en plus gênés pour s’expliquer, exprimer