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LA MONTAGNE D’HIVER

— Une servante ? Tu oublies que de nos jours, c’est un oiseau rare. Et qui se paie le prix fort. D’après tes confidences sur les ressources de celui que tu crois aimer, ce serait partir du mauvais pied.

Maryse argumentait, mais tellement en marge de la réalité, que Louise parfois s’impatientait :

— Pourquoi, belle comme tu l’étais, — et tu l’es encore suffisamment ! — pourquoi n’as-tu pas cherché à te marier quand tu étais jeune et en santé ? Ce n’est plus le temps, je te le dis. Guéris-toi. Et d’ici-là, prie le ciel de t’aider et de t’inspirer.

— Je sais. Je sais. Vous faites de votre mieux, pour m’apprendre à vivre raisonnablement, à m’élever au-dessus de ma puérile amertume, mais je suis réfractaire à votre science. Vous ne vous en apercevez pas, je ris tout le temps quand nous parlons, mais intérieurement, je pleure, je pleure, je pleure comme une fontaine. Et je retournerai chez nous dans deux semaines, et je continuerai à désirer le retour de Charles. Ma pauvre mère, devant mon visage de Mater dolorosa, et mon manque d’appétit, ne saura plus que faire pour moi. Elle boudera, tout en trouvant le tour de m’offrir à prix d’or, des filets mignons, des asperges, des fraises hors saison. Son espoir de voir enfin un peu plus de chair sur mes os sera vain…

— Comme est vain le mien…

— Pas tant que cela. Ici, j’ai faim. J’ai repris cinq livres. Ce n’est pas si mal. Mon docteur sera moins désespéré. La dernière fois que je l’ai vu, il levait les bras au ciel en disant : « Je parle dans le vide. » Et le bon Père Jésuite que je vais voir parfois, me regardait avec tristesse,