Page:Le Normand - La Montagne d'hiver, 1961.djvu/132

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
LA MONTAGNE D’HIVER

je rirai quand même, je prodiguerai ma verve, mon ironie, je mettrai le fion à mes petites histoires, comme pour amuser Sœur Candide, mais la tristesse pèsera sur mes épaules et m’écrasera. Ah ! vivent les hommes, Louise, vivent les hommes, même s’ils sont vieux comme le colonel.

Maryse, en effet, allait maintenant chercher une compagnie masculine chez le voisin, au risque d’être accusée d’intentions matrimoniales, par la ménagère du vieillard.

À son arrivée aux Escarpements, séduite par le calme, la beauté des montagnes, la lumière, l’air, Maryse n’avait eu besoin de rien de plus. Chaque matin, elle descendait de sa chambre en répétant : « Que je suis heureuse ! Que je suis bien chez vous, Louise. Que j’y dors bien. » Elle parut satisfaite des jours solitaires et vides d’événements. La plupart du temps, seule Louise lui tenait compagnie, les autres pensionnaires faisant du ski.

Le coin du feu, les bains de soleil en face du paysage d’hiver, tout agissait comme sédatif. Un peu de lecture, beaucoup de conversations achevaient l’enchantement. Maryse se remettait vraiment ; elle récupérerait définitivement les forces perdues, pensait-elle. Elle n’avait plus la larme à l’œil, ni la main tremblante comme à son arrivée. Son misérable état s’améliorait. Obligée depuis tant d’années à se lever tôt tous les jours pour son travail, elle avait quand même persisté à courir le monde chaque soir. Elle ne manquait aucune pièce de théâtre, aucun concert à la mode. Elle rentrait aux petites heures, surexcitée, et s’endormait difficilement. À la maison, en plus, elle n’avait jamais d’appétit, elle vivait pratiquement sans manger, ce qui était un inépuisable sujet de discussion avec sa mère affolée. Le monde lui était un puissant stimulant ; ailleurs que chez elle, entourée d’amis, de rires, de gaieté, elle